Il pleut sur Cerisy mais la salle du petit déjeuner résonnait de "bonjours" et de "bien dormi?". Et pourtant hier s'est produit une scène assez hallucinante: lassé des soupirs exaspérés poussés par la reine rouge, je suis allé lui demander des comptes. "Il sera difficile d'entamer une conversation si vous manifestez votre exaspération chaque fois que j'ouvre la bouche", lui dis-je.
"Mais je ne souhaite avoir aucune relation avec vous", répond-elle, entourée de sa cour. Un peu interloqué, je suis allé réfléchir à cette situation étrange d'un colloque où l'on ne m'a pas invité et où on me fait comprendre en plus que je n'ai rien à faire. Il y a une scène similaire dans "Notes du Souterrain" qui m'a toujours fait rire.
Dans ces cas-là, ce sont des situations romanesques qui me reviennent en mémoire: l'exécution de Charlus par Madame Verdurin, par exemple. Toujours est-il qu'après réflexion, le caractère ridicule de la chose m'apparaît clairement: à aucun moment les idées ne se sont engagées dans le débat, il s'est agi simplement de préserver des pré-carrés ou un infortuné doctorant.
Voyons un peu: je pose à celui-ci une question à l'issue de son exposé. A ma droite, soupir d'exaspération suivi de grommellements. A ma gauche, deux directeurs de recherche et l'éditeur me tombent dessus, l'un en disant "C'est une question à laquelle on pourrait réfléchir, mais on n'y réfléchira pas"; l'autre: "Voilà exactement le type de question que l'on craignait que l'on pose, la question d'ordre général parfaitement inutile".
Difficile de se sentir à l'aise après cela.
Or la majorité des participants ont en eux un logiciel d'évitement de conflit, dont je suis dépourvu. Il n'est donc pas question de voir se former autour de moi une faction, ou un clan, puisqu'il ne s'agit pas d'idéologie. Je ne connais strictement personne et n'ai pas d'amis. Je me replonge dans des souvenirs de terrain, je pense à cette soirée à Boca da Mata, chez les Pataxo, village où je ne connaissais personne, et où je me suis trouvé entouré d'Indiens ivres, avec pour seul protection le vieux Manoel Santana, haut comme trois pommes, qui essayait d'écarter de moi les plus belliqueux.
Il faut, dès lors que l'on suscite l'hostilité, partir la queue basse ou l'affronter, et en faire quelque chose. La transmuter, ou l'analyser, ou pousser à fond le psychodrame. Chez certains, l'hostilité se traduit en silence et en indifférence: pas de réponse à mes questions, aucun regard, rien. La reine rouge, en revanche, m'ayant ouvertement agressé, se trouve en position plus délicate. Elle est dorénavant obligée de se retirer chaque fois que j'apparais, ce qui bien sûr devient un jeu amusant où elle s'est enferrée. Il me suffit de surgir à tout moment pour faire en sorte qu'elle-même doive disparaître à tout moment.
Voilà donc un colloque riche d'enseignements.
Et quelle était la question "que l'on craignait que l'on pose", au juste ?
Rédigé par : Gali | lundi 05 juil 2010 à 09:23
L'exposé portait sur la "thérapie assistée par l'animal", par exemple dans les cas d'autisme ou de choc émotionnel, où un chien, un dauphin, un cheval dressés à cet effet viennent assister un thérapeute incapable d'entrer en contact avec le malade. Dans un exemple cité par l'intervenant, une petite fille nommée Laura, commotionnée par un éboulement et la perte de son labrador noir, revient à la vie grâce à un labrador blanc nommé Lara. La thérapeute insistait sur cette étrange corrélation, et j'essayais, dans ma question, d'attirer l'attention sur le fait que nous nous trouvions peut-être là dans un rapport de type magique, où la relation entre cause et effet est établie par des assonances ou des identités arbitraires comme dans le cas des statues vaudou ou de l'herboristerie yoruba (le nom de la plante contient le principe pathogène qu'elle permet de combattre). Voilà, chère Gali, quelle était ma question.
Rédigé par : anthropopotame | lundi 05 juil 2010 à 13:53