13 août : le réveil dans l’obscurité se passe bien, nous chargeons nos sacs et quittons le carbet de Rona pour le logement de l’IBAMA, suivis par les aboiements des chiens de garde. Ivan et Paulo nous attendent, Gilmar le chauffeur arrive à 6h10 et charge soigneusement son pick-up. Il a des bottes de gaucho, ses ongles sont longs et vernis, sa chemise est ouverte sur un pendentif portant une grosse pépite d’or. Gilmar, sortant de la ville, se signe à plusieurs reprises, ostensiblement, et caresse les trois crucifix qui pendent à son rétroviseur : deux lui viennent de sa femme, et un de sa défunte mère. Mais durant le voyage son vernis catholique laissera la place à des propositions très directes à D.
Gilmar a travaillé longtemps dans le garimpo ; mais il ne se contentait pas de la simple extraction : il assurait les transports, vendait des vivres et des médicaments, ce qui explique qu’il connaisse aujourd’hui une bonne aisance financière. Il est maranhense d’origine, sa femme est du ceará, il a un fils de 18 ans qui étudie à Macapa, et il est en association avec son frère pour assurer des frets entre Macapa et Oiapoque. Je lui demande de nous expliquer comment il reconnaît un ex-garimpeiro : est-ce à cause de la pépite ? Il me dit que c’est un signe parmi d’autres, mais qu’il est capable de les flairer de loin. Selon lui, le temps de survie dans le garimpo est plus court pour les malhonnêtes que pour les honnêtes. Les gens déloyaux ont plus de chances de se faire tuer. Ses ongles longs et manifestement manucurés sont manifestement un signe indiquant qu’il ne travaille pas avec ses mains – il dit qu’il se sentirait tout nu sans ses ongles.
Le trajet dure 6 heures, il y a des fondrières, et nous nous arrêtons souvent pour fumer une cigarette, sentir l’odeur de la forêt. A l’arrière on se cogne beaucoup contre le toit et les vitres, le meilleur moyen est de s’encastrer les uns dans les autres pour n’être pas trop ballotés.
Nous arrivons à Calçoene à 12h30, le rendez-vous qu’a fixé Kelly avec l’autre chauffeur est dans un resto nommé Sabor Regional, où je suis déjà allé. Paulo, le correspondant local de l’IBAMA natif de Cunani, vient nous retrouver : il fera un aller et retour pour vérifier si tout va bien là-bas. La patronne est très gentille, m’indique où habite Lídio, et je vais le rencontrer pendant que les filles vont au marché pour acheter des fruits et des légumes.
Lidio est assez peu aimable, mais il a un énorme pick up de trois places. Nous nous entassons à l’arrière, et commencent deux heures de parcours ponctués de passages à fleur d’eau. Nous nous arrêtons pour contempler un site mégalithique assez impressionnant, à mi-chemin. Le fazendeiro a été exproprié. Il a découvert le site lors d’une derrubada : des arbres sont tombés sur les pierres levées, elles se sont empilées comme des dominos, certaines sont brisées, mais on discerne tout de même la forme circulaire de leur disposition, le fait qu’elles aient été taillées en galettes, sauf l’une, en aiguille, alignée sur une autre, trouée en son milieu, vraisemblablement en direction du point de solstice. (après info, le site est connu depuis près d’un siècle)
Nous arrivons à Cunani vers 16h30 : il faut franchir à pied le pont suspendu qui oscille dangereusement. Ni Lidio le chauffeur, ni le vigile qui garde la base de l’IBAMA, ne lèvent le petit doigt pour nous aider, et laissent les filles se débrouiller avec les sacs de nourriture et les bidons d’essence, ce qui a le don de m’énerver. Je demande à Lidio de transporter quelque chose, et tends d’autorité au vigile un sac en lui disant de le porter dans la cuisine.
Paulo nous emmène dans la maison d’à côté, chez Bigo, dont nous savons parfaitement qu’il déteste l’IBAMA. Il tourne à peine la tête, mais Paulo insiste : « Il vous donnera tout ce dont vous aurez besoin ».
Mariza la cuisinière ne tarde pas à apparaître : elle nous explique que le gaz est près de s’achever, qu’il n’y a pas de cocotte minute, et me demande ce que je veux qu’elle cuisine ; or, chaque fois que je lui demande quelque chose, elle me répond que ce sera difficile ou impossible. « Mieux vaut laisser tomber alors », lui dis-je.
En tous cas il y a un gros malentendu entre Ricardo, qui est à Macapa, et le reste de l’équipe, car on nous a garantit qu’il y aurait tout sur place, gaz et produits ménagers, alors qu’en réalité tout semble manquer. De toute façon je demande à V. de gérer la partie nourriture avec Mariza, ce qu’elle fait avec beaucoup d’habileté.
Puis nous allons faire un tour au village : nous rencontrons dona Olga, fille d’Osiris, et son mari Eliomar dit « Vac ». Olga ne me reconnaît pas mais elle fait bonne figure et son visage s’illumine quand nous annonçons que nous resterons 15 jours. Elle nous explique que Domingos et Osiris sont à Calçoene (Osiris à cause d’une infection urinaire, et Domingos pour une maladie dans la famille), tandis que Joao le professeur est là, mais il est à la pêche. Nous n’insistons pas trop – ils préparent à manger, et poursuivons notre tour. Les volets de toutes les maisons sont fermés, certains parce que la maison est vide, d’autres à cause de carapanã qui commencent à attaquer. Une des seules maisons occupées est celle de Mariza et Mariuza, sa mère, ainsi qu’une des filles de Mariza et quatre de ses neveux, encore enfants. La mère est à calçoene, provisoirement. Enfin nous parvenons à la maison de Joao, qui est vide. Je guide les filles à travers un sentier de forêt jusqu’à la piste d’atterrissage, puis nous rebroussons chemin et tombons sur Joao qui rentre de la pêche avec un ami nommé Célio. Il a deux pescadas brancas et nous invite à partager le churrasco chez son beau frère Ermógenes. Même si nous craignons de nous imposer, nous acceptons tout de même, passons à l’arrière de la maison ou Joao allume le barbecue tout en se frappant le corps à cause des moustiques. E., D. et V. retournent à la maison chercher de quoi faire une salade, tandis que Joao me raconte tous les ennuis de santé qu’il a eu depuis un an : hernie discale plus quatre malarias.
Il n’a plus que sept élèves, et semble plus amer qu’autrefois. Ce sentiment d’amertume est généralisé, il est en grande partie dû au départ de Marcos et à la prise de fonction de Ricardo (Marisa me dit qu’il n’aime pas beaucoup être ici, qu’il ne mange rien de ce qu’on lui sert à part café et biscuit, qu’il ne sort pas beaucoup, etc.). Puis il m’explique qu’il va lui-même quitter Cunani : sa fille aura bientôt 15 ans, il voudrait qu’elle étudie à Macapá. Je lui demande s’il n’est pas responsable, en tant que professeur, de cet exode ; il proteste, explique que c’est son métier que de donner des expectatives aux gens. Ils entrent souvent dans cette contradiction que de dévaloriser le travail agricole en général et le valoriser lorsqu’il est question de rester dans la communauté.
Le dîner se déroule comme cela devait être avec quatre femmes dans une maison où se trouvent trois hommes célibataires ; Célio et Hermogénes sont tout émoustillés, Hermogénes nous réinvite à dîner pour le lendemain… Nous mangeons le poisson dans une sauce piment citron, avec de la farine de manioc, c’est délicieux. Puis j’expose à Joao le motif de notre enquête : il se lance alors dans un discours que j’ai déjà entendu sur son goût pour les études, sa formation d’historien, l’importance d’échanger des informations entre chercheurs, puis me parle de tout ce qu’il se propose d’étudier ici : la « socialidade, festividade », ses propos se chargent de mots académiques. Il est manifestement très fatigué.
Nous sortons sur le pas de la maison, poursuivant la discussion, mais la conversation dérape et nous rentrons. Longue discussion entre nous pour mettre au point le programme des prochains jours.
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