Avant de quitter le bureau de Maia, celui-ci insiste pour avoir nos adresses, puis nous indique quelques informateurs, dont la présidente de l’association’ de migrants qui a une auberge dans île fluviale (ilha do sol) en face de St Georges, une dénommée Valéria Leal.
Puis D. et moi nous rendons à la supérette Midiã, où Jonas m’accueille et me salue aimablement. Les filles nous rejoignent et nous remplissons nos caddies de haricot, riz, pâtes, soupes, jus de fruit en poudre, etc. L’ensemble nous est livré au logement de l’IBAMA, mais j’accompagne Jonas en voiture pour qu’il me montre ses quatre boutiques : une tenue par son frère, autre par sa sœur, autre par une employée. Ils en ont aussi ouvert une à Macapá dont il veut faire la maison mère ; ils ont dû scinder la boutique en 4 car le proprio de l’ancienne a récupéré les murs.
Retour chez Rona à midi : nous avons rendez-vous avec Ivan et les deux Paulos pour parler de notre mission à Cunani. Ivan est un mineiro assez grand et beau, cheveux longs, à la voix douce. Il fait partie de ces jeunes recrues ayant une bonne formation (il est biologiste) et il a déjà la capacité de dresser des procès verbaux, ce que Kelly n’a toujours pas fait.
Il nous explique (comme Kelly l’avait fait) qu’ils ont plus ou moins sacrifié Cunani dans leurs plans, ils ont tiré un trait dessus. L’homologation du quilombo (qui devrait se faire par l’Incra, l’identification relevant de la fondation Palmares) est au point mort, il y a deux expertises contradictoires, dont une commanditée par l’ICMBio pour contrer une première très favorable à la communauté. C’est José Luis du CDS qui l’a menée en janvier, est resté une semaine sur place, et était beaucoup plus mitigé sur la question quilombola.
Les options sont : déplacer la communauté sur l’autre rive du fleuve Cunani, les laisser sur place en leur laissant une aire d’usage de 3 km de diamètre, ou bien créer un quilombo dans les règles, qui mordrait sur le Parna. (En chemin vers Cunani nous avons vu la plaque délimitant l’entrée de ce que serait le quilombo, plaque posée en 2004).
Ivan nous dit que le statu quo est plutôt avantageux ; Cunani se vide progressivement de ses habitants, leur impact sur le milieu est très limité, donc ils ne sont pas pressés de voir la situation se résoudre. Plus tard, nous aurons une meilleure idée de ce qui se passe entre Cunani et Calçoene grâce à notre conversation avec le prof Joao.
Le déjeuner se termine tard. A partir de 5h, c’est l’ouverture de la foire à Oiapoque : les stands sont ouverts, on trouve face à face l’Agence Spatiale et européenne et le revendeur local de riz et haricot ; l’ensemble donne plutôt une impression misérable. A part quelques touristes guyanais, tout le monde se fout des exposants et se concentre sur la rue qui longe le fleuve, où se trouvent les buvettes. Nous testons à l’un de ces chariots chargés d’alcools divers la Capeta et les caipirinhas, en plus d’une cachaça où marine un malheureux crabe de mangrove qui donne un goût bizarre à l’ensemble.
Pour moi, une capeta c’est du guarana, du lait concentré sucré et de la vodka. Mais le jeune homme qui la prépare mixe également des noix de cajou grillées et salées, plus du cognac, du citron, un nappage au chocolat, et l’ensemble est imbuvable, ayant la consistance et la couleur d’une diarrhée, et une amertume insupportable. La caipirinha, en revanche, se laisse boire.
Nous achetons de la nourriture à différents stands, ayant choisi une table à l’emplacement stratégique du carrefour, mais peu de visages connus. Au loin, sur la scène montée pour l’occasion, les remerciements défilent, le gouverneur, le maire, la représentante de la Guyane, puis un pajé est invité à prononcer une oraison : elle s’éternise, et dans chaque stand on allume les radios en se moquant de lui : les gens ne portent pas les indiens dans leur cœur.
Nous avons croisé les galibi en tenue de turé, j’ai même revu Soda qui s’est bien vite éloigné (il ne m’a pas pardonné de ne l’avoir pas aidé à organiser la fête de Marie, toute son amitié d’ailleurs reposait sur l’espoir de l’argent qu’il retirerait de moi). D’ailleurs il est très évasif quand je lui parle des crises convulsives d’il y a trois ans, il dit que cela s’est réglé grâce à « des pajés de la région », sans vouloir spécifier davantage. Je me rappelle comme il se vantait de s’être fait offrir des bières par un blanc de passage à Oiapoque, et comme il allait mendier auprès de son père militaire, s’enorgueillissant de ce qu’il lui avait soutiré.
Finalement C. et V. nous ramènent Françoise, sa fille et une amie à elle accompagnée de son fils. Elle m’explique que l’Observatoire de l’Oyapock a été créé pour servir d’aide à la décision, mais qu’on ne tient jamais compte de son avis. En revanche, du point de vue scientifique, les affaires vont bien, beaucoup de chercheurs défilent et elle se sent bien ici. Quand nous nous quittons, elle me prend par le bras, me regarde droit dans les yeux pour me demander si je vais VRAIMENT bien. Oui, oui, tout va très bien lui dis-je…
Après deux heures de ce régime je commence à me sentir malade et je décide de rentrer. Les filles restent un peu sur place. Nous devons nous lever à 5h pour un rdv à 6h à l’alojamento où le chauffeur passera nous prendre. Or vu le temps que nous avons mis à monter les hamacs, il faut compter large pour pouvoir les défaire.
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