Samedi 14 août :
Il pleut, nous n’avons pas trop envie de sortir ; Marisa me montre le fil que le voisin, Bigó, tend entre les batteries solaires et sa maison. J’appelle le vigile qui est le neveu de Bigo et lui demande de le défaire. Cela ne va pas améliorer nos relations mais il nous a à peine salué lorsque nous sommes passés chez lui hier soir avec Paulo.
Nous passons la matinée à compléter nos notes, lire différents rapports et échanger des idées. Marisa nous renseigne assez volontiers, on sent qu’elle apprécie de se trouver dans cette maison.
Vers deux heures, nous allons faire un tour au village : Olga est assise sur le seuil d’une maison (Rosa) avec deux autres femmes (Graça et Mariuza), qui bientôt se retrouvent à cinq ou six. Plaisanteries habituelles sur le fait que je me promène avec quatre jeunes femmes, je réponds que je n’en ai jamais assez, rires, etc. Quand on inverse la plaisanterie en disant que les filles sont à la recherche d’un mari du coin, elles protestent vivement.
Olga nous parle des origines de la communauté : discours appris auprès de Joao, sur la République, les esclaves, etc. Je demande qui était le président de cette république, elle se tourne vers une adolescente qui répond « Julio Gross » (Pour Jules Gros). Selon elle, ils sont trop innocents : tous les vestiges de cette république ont été distribués à des gens de passage : « a gente nao sabe o que tem, nao sabe valorizar ». Nous parlons de l’Eglise : elle est ouverte ces jours-ci car c’est la fête de Ste Marie, patronne du village. Les saints fêtés Sao Tomé, Sao Raimundo, Sao Benedito do Cunani (qui semble être un saint très ancré dans tradition locale, saint noir avec enfant Jésus), et Santa Maria bien sûr. Sur l’autel de l’église on voit plusieurs vierges magnifique, deux ou trois sao Benedito, un Saint Sébastien assez abîmé.
Elle évoque une ancienne église qui se dressait à côté de celle-ci, sous laquelle il y avait un tunnel. Bigo complète l’histoire le lendemain : le prêtre qui avait tenté de l’explorer s’était arrêté à la troisième marche, sa bougie s’étant éteinte : plus d’air à cet endroit. Ils vivent avec l’idée qu’il y a des richesses sous leurs pieds, cela me sera confirmé le lendemain (Bigo évoquant des trous, des tunnels, jusque dans le puits creusé pour la maison de l’IBAMA).
Elle évoque également les bateaux remplis de Baianos qui débarquaient autrefois pour travailler dans les garimpos ( ?) : ces hommes étaient des durs, qui se servaient en femmes sans hésiter. Je lui demande si ce sont des Baianos de Guyane, elle répond que oui (la question que je me pose est alors de savoir si baiano est synonyme de Noirs) ; ces mêmes baianos seront évoqués par d’autres, par ex. Domingos, mais cette fois sous la forme d’esclaves fugitifs venus chercher refuge. Puis, quand Olga évoque le garimpo, elle parle des créoles (crioulos), et je lui demande alors quelle est la différence entre crioulo et baiano : elle répond que les baianos sont de Bahia et les créoles de Guyane…
Sa grand-mère, qui lui racontait cette histoire, est venue de l’archipel de Baïliques avec une famille qui la parrainait. Cette famille était vraisemblablement une famille de pêcheurs venus s’implanter ici. On nous parle du temps de la splendeur de Cunani : le temps des commerces le long du fleuve, qui comptait même un internat en aval. Les bateaux venaient de Belém pour faire du commerce.
Les femmes qui l’entourent sont ses sœurs Rosa (mariée à Joao Amancio, frère de Bigo) e Graça, et sa tante. Elle a été élevée par sa grand-mère.
Mariuza, mère de Mariza, est fille de Tiago et sœur de Domingos.
Lorsque j’évoque le problème auquel nous sommes confrontés, que l’essentiel de leur savoir vient de Joao ou de personnes de l’extérieur, elles se récrient toutes en expliquant que leurs parents ne laissaient jamais les enfants participer aux conversations (ce que Bigo et sa femme nous confirmeront), que pour le trou sous l’église ont leur disait qu’il ne fallait pas s’approcher car il y avait un serpent dedans (Bigo et sa femme nous diront la même chose, parlant d’une chaîne plongeant dans le fleuve, aux anneaux énormes, dont aucun enfant n’avait le droit de savoir à quoi elle conduisait, si à un coffre ou à un serpent – j’ai parlé des esprits enfermés à Kumarumã, ils protestent que ce n’était pas du tout cela).
D. et moi allons chez Hermogenes annuler le dîner de ce soir – il ne s’en souvenait pas de toute façon. Il est avec Eliomar, dit VAC, mari d’Olga. Nous descendons avec D. voir le puits en contrebas : une petite pompe fait monter l’eau jusque chez Osiris ? ou chez le professeur ? Le puits est entouré de bananiers.
Puis nous rentrons. Dispute au sujet de l’attitude correcte à avoir sur ce terrain, un peu miné à cause des négociations en cours avec l’ICMBio : en gros la communauté risque l’expulsion si le trafic de poisson et de gibier avec Calçoene se poursuit. L’ICM accepte de céder des droits d’usage, mais pour les familles résidant effectivement sur place, et pas aux enfants et petits enfants installés à Calçoene. Les gens d’ici ne voient probablement pas les choses comme ça, mais le terrain est miné et on ne peut pas poser la question de but en blanc sans se griller. Je me rappelle que Joao, le professeur, élu représentant de l’association des remanescentes de quilombolas, avait comme concurrent pour l’élection un natif de Cunani mais vivant à Macapa… La situation est donc compliquée, lui-même n’étant pas natif d’ici mais résidant sur place.
Pour le reste, tout le monde nous offre des bananes qui s’accumulent sur le buffet de la cuisine.
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