Réunion concernant le budget des départements. Les responsables sont réunis et se partagent le gâteau: la dotation est de 130.000 euros, nous en demandons 145.000.
Facile, m'écrié-je, on a qu'à retirer 10% à chacun de nos budgets.
"Mais non, se récrie le président de la commission, si on fait cela cette réunion n'a plus lieu d'être. Nous sommes ici pour mesurer collectivement les efforts que chacun est disposé à faire."
On me regarde avec pitié, et ceux qui ne me connaissent pas avec une touche d'affection. Je suis novice, je demande une augmentation de 50%.
Les responsables, un à un, battent leur coulpe: "j'ai été méchant, j'ai demandé 200 euros pour le colloque, je préfère finalement ne pas embarrasser les collègues et donc je ne demande rien du tout."
Les absents se voient houspillés: on rabat leurs prétentions à obtenir qui un bureau, qui une lampe.
Quand vient mon tour de me justifier et de battre en retraite, je ne joue pas le jeu. "Je demande 16.000 euros, dont 4000 d'équipement, en fonction des demandes qui m'ont été adressées. Nous sommes suffisamment dévalorisés pour n'avoir pas, en plus, à accepter de vieux ordinateurs du Conseil Régional comme si nous étions clients de la Croix Rouge."
"Mais enfin, Anthropopotame, tu te rends compte que tu demandes un i-mac à 1200 euros! Le conseil va nous rire au nez. Pour le même prix tu as quatre ordinateurs de la Région. Et puis tu demandes 2 PC neufs!"
"Je ne vois pas ce qu'il y a de choquant à accorder un i-Mac à une collègue si elle doit se sentir plus à l'aise dans son travail. L'enveloppe informatique se monte à 4000 euros, j'aimerais tout de même qu'on prenne conscience de ce que représentent ces chiffres. Nous sommes 23 dans le département. Suis-je malade? Suis-je vraiment le seul à trouver cette somme dérisoire?"
"Oui, mais ce n'est pas le lieu de porter ce genre de réclamations. Tout ce qu'on t'accordera sera pris sur le budget de tes collègues, sur notre budget!"
On me lance des regards noirs. On me laisse entendre que je serai mal vu.
"Bon, qu'est-ce que tu suggères?" demandé-je au président de la commission.
"Ah mais ce n'est pas à moi de te suggérer les efforts que tu dois faire!"
Je reconnais le discours moralisateur qui est de mise depuis tant d'années: nous sommes de misérables vers de terre, nous sommes prêts à lutter six mois durant pour défendre la lecture de la Princesse de Clèves, nous n'hésitons pas à laisser les étudiants bloqueurs provoquer des dégâts dont la réparation exige des dizaines de milliers d'euros, mais quand il s'agit de discuter d'égal à égal avec le Président, on préfère se mordre la lèvre.
Le collègue qui préside la réunion souffre de sciatique. De temps en temps il a des grimaces de douleur. J'ai mal pour lui, mais je ne me vois pas renoncer au i-Mac. "Fort bien. Voici ce que je propose: je renonce à l'ordinateur portable d'usage collectif. Une fois ceci accompli, je retranche encore 10% à la totalité de mon budget. Je garde le i-mac, et si on veut savoir pourquoi, que le Conseil m'adresse directement sa demande."
Consternation: "Tu te rends compte que ce budget ne sera pas voté? Il est extravagant de demander un i-mac."
Raison de plus pour maintenir nos demandes, dis-je. Et je m'en vais, sachant qu'on me fera payer mon attitude l'année prochaine, surtout si j'ai le malheur de ne pas être présent à la réunion du budget.
Sur le chemin de la gare, je songe: j'ai plus de 5000 euros par an de frais professionnels (informatique, livres, invitations à déjeuner, déplacements, etc.). Si l'Université de Neverland estime qu'avoir des bureaux correctement équipés relève du délire, qu'il nous faut à tout prix travailler avec du matériel usagé, alors j'irai m'habiller chez GAP ou Emmaüs, je cesserai de me laver, et bien entendu je cesserai d'acheter des bouquins et de lire, car cela me coûte cher.
Hahahahahahaha (je pleure, hein, je rigole pas)... J'ai passé les mois de mars, avril, et mai à avoir ce genre de discussions budgétaires stériles et acerbes... Et je n'en suis pas sortie indemne, ni physiquement ni mentalement!
Rédigé par : Dr. CaSo | vendredi 22 oct 2010 à 08:42
CaSo, tu ne dors donc jamais???
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 22 oct 2010 à 08:48
il fallait demander 25.000€, dont 7.000€ incluant 2 imacs... et en céder un dans la négociation, grand seigneur.
C'est un peu comme les trucs genre Initiative d'Excellence : en dessous du million, aucune demande n'est vraiment crédible.
Rédigé par : nicomo | vendredi 22 oct 2010 à 14:16
Nicomo, vous oubliez que nous sommes en Lettres, au-delà de 150 euros, nous sommes fâchés avec les chiffres.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 22 oct 2010 à 17:02
Nan, je souffre d'insomnie parce que j'ai peur que ma secrétaire fasse un coup d'état et devienne le dictateur de mon gouvernement...
Rédigé par : Dr. CaSo | vendredi 22 oct 2010 à 19:03
La très belle bibliothèque de ma chère université, dernière œuvre de Pierre Riboulet, gère son catalogue par l'intermédiaire d'une application espagnole développée par @bsysnet. Espagnole, parce que certains de ses éléments sont restés dans la langue d'origine.
Sur l'interface en ligne, on est accueilli par un avertissement : "Ne jamais taper de virgule (Bogue informatique)". Dans la bibliothèque, l'accès s'effectue à l'aide d'ordinateurs de bureau Maxdata, excellente marque allemande, complets, avec leurs lecteurs de disquette et un petit verrou pour empêcher les étudiants d'y introduire quoi que ce soit.
Un serveur sous Linux, des terminaux passifs, et Koha (http://www.koha-fr.org/) l'application libre qui animait feue la tant regrettée bibliothèque de sociologie du CNRS auraient rendu rigoureusement le même service, avec une meilleure fiabilité et sans les bogues pour, quoi, 40 % du coût ?
A la fois parce la bureautique n'est pas très gourmande en ressources et parce qu'on trouve tout ce qu'on veut comme logiciels libres éprouvés pour faire le travail, l'informatique est vraiment le secteur dans lequel on peu fortement réduire les dépenses sans autre conséquence que de contraindre les utilisateurs à changer leurs habitudes. Ce que les gendarmes, entre autres, ont fait depuis des années et sans ennuyer personne. Bien sûr, la comparaison n'est guère valorisante : mieux vaut sans doute garder ses outils de distinction, rester chez Apple, et apporter une modeste contribution à l'édification de la plus grosse capitalisation boursière mondiale.
Rédigé par : Denys | dimanche 24 oct 2010 à 16:56
Certes, Denys, mais les universitaires ne vivent pas de pain et d'eau. Déçus par leurs étudiants, déçus par l'Université, ils souhaitent compenser en se voyant reconnaître au moins le droit d'accéder à des outils compatibles avec ceux qu'ils utilisent chez eux, où ils travaillent 70% du temps.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 24 oct 2010 à 17:16
Des ordinateurs fonctionnels?
(Gigantesque fou-rire) Hem... Excusez-moi, je me reprends.
Dans mon ancien département, nous avions des ordinateurs relativement fonctionnels. Pas tout neufs, mais corrects.
J'ai vu tant d'enseignants TAPER dessus. Au sens propre, cogner. Ces ordinateurs n'étaient jamais éteints, tournaient et chauffaient 24h/24, pour quelques courtes heures d'utilisation par jour, et encore, pas tous les jours. Je les éteignais charitablement le vendredi soir, sinon, ils étaient bons pour passer le week-end en tête à tête, pardon, processeur à processeur. Alors que programmer une mise en veille prolongée après un certain temps d'inactivité est une manipulation tellement simple - mais bien entendu les utilisateurs ne disposaient pas des droits d'administration pour y procéder. Et contrairement au sol de la salle dans laquelle ils se trouvaient, leurs souris, claviers, écrans n'étaient JAMAIS nettoyés, et donc couverts d'éclaboussures, traces d'éternuements, de café, dans lesquelles la poussière et la crasse s'aggloméraient gentiment.
Triste vie que celle d'ordinateur universitaire, sortes d'ânes des temps modernes, bons tout juste à aider et être négligés et battus en retour.
Non, vraiment, le matériel informatique, c'est peu de chose. Une gestion rationnelle dudit parc, là, ça devient vraiment ambitieux (et coûteux).
Désolée pour le relatif hors-sujet.
Rédigé par : La souris blonde | dimanche 24 oct 2010 à 18:22