J'ouvre une nouvelle catégorie aujourd'hui: l'observation de mon petit chat qui n'a pas encore de nom, et que je soupçonne fortement d'être un petit mâle. S'il tient le coup, ne se fait ni voler ni écraser, nous en avons pour vingt ans de vie commune, aussi peut-il être intéressant d'observer comment ce petit chat évolue, en fonction de l'éducation que je vais lui donner, et de son caractère, pour l'instant plutôt accommodant.
Il est né en Vendée durant le mois de juin, dans une portée de 4, où figurait l'infortuné Tigrou. Sa mère était une petite chatte grise et blanche, fine, nerveuse, qui vivait avec sa soeur. Les deux soeurs se sont brouillées au moment de la naissance simultanée ou presque de leurs petits, la mère de Tigrou préférant la cave, et l'autre le garage. Jusque fin juillet, il était presque impossible d'approcher les chatons, sauf aux heures des repas.
En septembre, les mères sont parties voir ailleurs, et nous sommes restés avec sept petits chats sur les bras, collés à la porte de la cuisine, ne vivant que pour et par les croquettes. La portée de Tigrou était moins sauvage que l'autre, plus menue également.
Mon propre petit chat, croisé gouttière et birman, se laissait attraper et caresser, mais n'avait pas une claire conscience de ce qu'était un humain, ni à quoi cela pouvait servir, à part verser des croquettes. Nous n'avions aucun contact visuel, et il me semble que c'est parce que nos corps étaient trop grands, trop bariolés de vêtements, pour qu'un chaton inexpérimenté distingue nos yeux dans cet ensemble.
Le transport jusqu'à Paris s'est déroulé correctement, et Minou - appelons-le comme cela pour l'instant - s'est trouvé confronté à un univers de bruits de rue, de plancher, de portes et d'assiettes qu'il n'avait jamais connu auparavant. Il a passé une journée à sursauter, miauler, à se cogner contre la fenêtre lorsqu'il voulait monter sur le balcon. Mais il a presque immédiatement compris qu'il dépendait de moi, à présent, et s'est mis à me suivre dans tous mes déplacements, à chercher à croiser mon regard, à se coucher sur le dos pour que je lui caresse le ventre, etc.
Dès qu'il a compris l'intérêt de la communication visuelle, son attitude a changé du tout au tout: il s'est mis à observer mon visage, à le regarder en premier. Il monte sur mes genoux ou ma poitrine et me regarde intensément, ce qu'il ne faisait pas il y a trois jours.
Il a très bien compris également la distinction entre les petites tapes que je lui donne pour qu'il arrête de faire quelque chose (fouiller la poubelle, ronger les orchidées) et ma main en position de jeu. Ce n'est pas encore tout à fait acquis mais nous nous mettons d'accord sur un ensemble de signaux sonores et visuels qui montrent que j'ai envie de jouer, moi aussi. Par exemple, lorsque je fais "kh-kh-kh" il sait que je vais lui courir après pour l'attraper et lui caresser le ventre, et il adopte une position de défense ou de fuite enjouée (je ne sais quel terme employer). Je perçois très bien moi-même lorsqu'il est dans le jeu ou lorsqu'il est un peu effrayé.
La période où nous apprenons mutuellement à nous déchiffrer et à établir un code intelligible par nous deux est donc très intense, et j'ai cet avantage que j'ai connu bien des chats, tandis que je suis son premier humain.
J'ignore s'il s'agit d'une forme de syndrome de Stockholm, mais il semble très attaché à moi, se frotte sans arrêt à mes jambes, fait ses griffes sur mon pantalon, et apprécie que je sois debout. Assis je l'intéresse encore, couché presque plus du tout - mais il commence à comprendre la continuité entre un humain debout et allongé. Il ne semble pas avoir compris, en revanche, que F. ferait partie de son existence dorénavant, ou peut-être est-il irrité du fait qu'elle l'appelle "bébé" -ou "bebecito" - alors que c'est un grand petit chat maintenant.
Il a franchi rapidement deux étapes: la première consistait à se cacher dès qu'il entendait un bruit étranger (tous les bruits ou presque), la deuxième consistait à se mettre à l'abri mais en préservant son champ visuel. En deux jours, il a compris le principe de l'ouverture des portes, du caractère impénétrable des vitres. Il a à peu près compris la signification du mot "non".
Je me demande si cette adaptation rapide à la vie d'appartement est due à une flexibilité apportée par la domestication ou si n'importe quel petit animal entreprendrait cette conversion à un nouvel univers et à ses potentialités.
En ce moment j'écris sans le voir mais j'entends son ronron qui résonne dans la pièce.
Je sais pas pourquoi mais je préfère les histoires de chats aux histoires de vaches ;)
Faut lui couper les griffes des pattes avant, je fais ça aux miennes toutes les deux semaines sans problème.
Rédigé par : Dr. CaSo | dimanche 03 oct 2010 à 16:52
Je préfère quant à moi les bovins ou chats d'appartement : le rapport de domestication est visible et encore violent dans le premier cas alors que les chats ont subi une telle humanisation que leur animalité ne nous dérange guère (c'est comme un enfant, il faut lui apprendre à être propre, à ne pas aller n'importe où et à réagir exactement comme c'est attendu). Bref, Tigrou va être éduqué, et je me demande si cette opération n'est pas, à son égard, une épreuve d'une grande violence (encore une fois, je ne juge pas). C'est-à-dire que l'on fait comme s'il était naturel pour un animal de compagnie de recevoir une éducation à la vie humaine alors même qu'il reste un animal (on ne peut pas le torturer à satiété, mais on peut l'occire sans souci) : l'homme promeut ainsi une ambiguïté dans son rapport à ces vivants, qui deviennent une partie de sa vie - donc ses compagnons - tout en demeurant dans un rapport d'extériorité radical - une fois le chat mort, on le remplace sans état d'âme ; si l'on est de mauvaises humeurs, il peut en prendre pour son grade sans exiger d'explications (c'est une bonne poire). Il ne s'agit pas de blâmer la vie domestique au profit de la vie sauvage, mais d'interroger nos réflexes de domesticité : pourquoi un bon chat est-il avec autant d'évidence un chat qui est bien dressé ? Pour appuyer ma démarche, je voudrais citer une émission de télé que j'ai regardée par hasard en rendant visite à mes grands-parents il y a quelques temps. Emission dans laquelle il était fait grand cas du sort des lévriers lorsque les hippodromes fermaient ou qu'ils devenaient vieux. Une association française un poil messianique se sent responsable de leur sort et tente de les sauver partout en Europe. Dans l'émission télévisée, on avait droit aux paroles éplorées de la présidente de cette association qui avait jeté son dévolu sur un pauvre cabot qui aura maintenant droit, selon elle à une vraie vie de chien : promenades quotidiennes, laisse et prénom individuels, maître protecteur et prompt à la caresse. La présentation qu'elle a faite m'a horrifié : on prétend sauver des animaux pour les rendre à leur nature finalisée par nos besoins.
Je ne sais trop ce que cachent nos instincts de domesticateurs, peut-être un rappel d'une vie archaïque où, hors des villes, il fallait savoir tenir ses animaux pour vivre correctement. Peut-être une volonté paranoïaque de reproduire notre humanité partout où c'est possible (vite ! de l'humain où je crève).
Ce qui m'impressionne le plus est la possibilité inhérente à la domestication de l'ambigüité des rapports : nécessairement humains (on ne peut mimer le cheval), et néanmoins toujours distants (car on est intéressé par l'animal et non dévoué à son égard). Qu'est-ce donc qui nous retient d'en faire des humains à part entière ? Il y a bien une limite spécifique que l'on retrace à chaque fois puisqu'un être humain raisonnable différencie sa bestiole de sa propre progéniture - mais cette spécification (de species, tout le monde suit ?) n'est jamais pure. Et c'est peut-être ça qui caractérise l'humanité : cette impureté de l'espèce qui fait qu'on est incapable d'exclure facilement de la vie ce qui nous entoure alors qu'il me semble que n'importe tout autre mammifère n'hésite pas à laisser crever un exemplaire d'une autre espèce qui n'a rien pour l'intéresser.
Rédigé par : Bardamu | dimanche 03 oct 2010 à 17:40
ligne 1 : lire "aux" et non "ou".
Rédigé par : Bardamu | dimanche 03 oct 2010 à 17:42
Bardamu, vous réagissez comme Lorenz, décrivant les animaux domestiques comme des avortons dénaturés et avilis, un peu comme Gobineau rejetait le métissage comme étant une dégénérescence. Vous pouvez lire à ce sujet le livre "L'éloquence des bêtes" publié par Sergio Dalla Bernardina chez Métailié en 2006. Les chats et les humains ont coévolué: évidemment ce petit chat se plie à une éducation, mais sa mère aussi l'a éduqué. Et réciproquement, il va m'éduquer aussi, m'enseigner ce qui lui plaît ou déplaît, m'astreindre à mille corvées.
Je ne change pas de chat comme de chemise. Darlingo a vécu vingt ans, voilà cinq ans qu'il est mort, je rêve très souvent de lui, et ce n'est qu'aujourd'hui que j'adopte un autre chat.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 03 oct 2010 à 17:54
Mon cerveau est un peu trop enbué en ce joli dimanche après-midi pour que comprenne tout ce que tu racontes (et qui est d'ailleurs très intéressant, je me pose souvent ce genre de question). Tout ce que je peux dire c'est que je traite mes chats avec le plus grand respect et j'essaye de leur donner la meilleure vie possible dans les limites de mes possibilités. L'une d'elle, par exemple, s'est cassé les deux jambes arrières et a maintenant du mal à marcher donc je ne pense pas qu'elle survivrait longtemps dehors, mais chez moi, je peux lui offrir du confort. Ma maison est "cat proof" (je n'ai rien de fragile, pas de biblot, etc.) parce que je veux qu'elles puissent courir dans tous les sens sans soucis. Et quand je quitte la maison le matin, je leur dit "ne faites pas TROP de bêtises" parce que je ne veux pas en faire des chiens de faïence.
Et je peux te dire que le jour où elles mourront, je ne vais pas les remplacer le lendemain!!! Très loin de là!!!
Rédigé par : Dr. CaSo | dimanche 03 oct 2010 à 22:37
CaSo, je n'aimerais pas être à ta place quand tes petites chattes auront lu Marx :(
Rédigé par : anthropopotame | lundi 04 oct 2010 à 07:13
Évidemment l'homme a coévolué avec ses bê-bêtes préférées, mais pas dans les mêmes mesures !
D'abord je ne porte pas de jugement sur les rapports d'Anthropopotame avec ses peluches vivantes. Je m'interrogeais sur l'évidence du dressage que l'on adresse à nos animaux : comme si pour nous, un animal ne vivait bien qu'encadré par des règles modernes de domesticité. Il est certain qu'ainsi on offre la vie à des spécimens faibles, mais on leur impose un mode de vie qui nous est de prime abord plaisant (un chat doit se plaire à ce qui nous plaît). Je me fiche pas mal de trouver ça excitant ou révoltant (mais j'avoue que la nana de l'émission tv me faisait rire jaune). Première question : qu'est-ce qui nous pousse à avoir ces réflexes de domestication à l'égard de non-humains ?
Ensuite, ce geste est à mon sens symbolique de notre espère en tant qu'on adopte des non-humains en les rendant les plus proches possibles de nous. Mais ce geste d'humanisation a des limites : un chat reste un chat, c'est-à-dire que son éducation reste essentiellement "à la dure" : il ne peut rien négocier (et ne vous laissez pas faire Anthropopotame : Tigrou doit respecter son propriétaire !). Donc, en même temps qu'on humanise, on maintient une distance (ontologique si vous insistez). C'est-à-dire que ce qui caractérise l'humanité (cet amour du mélange) ne risque pas de la perdre : il faudrait pour cela que le devenir-homme de l'animal soit effectif alors qu'il n'est que simulé - peut-être fantasmé. La question qui se pose alors est la nature de la motivation du rétablissement spécifique : que trouvons-nous à rappeler aux animaux leur juste place ? Et inversement : qu'est-ce qui nous empêche de jouer aux humains jusqu'au bout avec nos aimables peluches ?
Pour vos chattes Caso, essayez le début de L'idéologie allemande ou le Manifeste...
Rédigé par : Bardamu | mardi 05 oct 2010 à 01:02
Si vous croyez que je suis assez moderne et laxiste pour laisser mes chat apprendre à lire, vous vous fourrez le doigt dans l'oeil mes amis! Ici, les chats c'est fait pour ronronner dans mes bras ou dormir sur mes genoux et c'est tout, non mais! Et puis quoi encore! Faudrait peut-être que je leur file de l'argent de poche aussi?!
Rédigé par : Dr. CaSo | mardi 05 oct 2010 à 03:40
@Bardamu
Vous dites que les non-humains ne s’intéressent qu’à leur propre espèce mais les choses sont plus compliquées que cela en ce qui concerne les chats... En effet nombre de leurs comportements envers leurs propriétaires s’expliquent par le fait qu’un chat considère son humain comme sa mère ou son petit. Un chat qui nous masse le ventre avec ses pattes nous considère comme sa mère et reproduit un mouvement qui amène plus de lait vers le téton auquel il est accroché. Un chat qui nous ramène une souris morte nous considère paraît-il comme son petit : il cherche à nous apprendre à chasser (et non à obtenir une récompense). Si les humains considèrent, d’un point de vue affectif, leurs chats comme leurs congénères la réciproque est tout aussi vraie !
Rédigé par : JX75 | mardi 05 oct 2010 à 08:08
Certes, je veux bien vous croire cher JX75, mais les chats ne nous domestiquent pas en nous adoptant ! D'ailleurs il est probable que les chats nous prennent pour des leurs parce qu'ils ne peuvent faire autrement. En revanche, si on les prend pour des humains, on sait toujours faire la différence (c'est ce jeu qui me semble spécifiquement humain : un animal est beaucoup plus sérieux !).
Rédigé par : Bardamu | mercredi 06 oct 2010 à 21:43