Il eût été un excellent professeur de collège, tenant, méticuleux, le registre des absences, usant de cinq couleurs pour mettre à jour ses fiches pédagogiques. A l'heure de clore le trimestre, son énergie mentale eût été consacrée à peaufiner ses appréciations: les bulletins accompagnent les élèves toute leur vie, n'est-ce pas là une façon d'être Immortel? Il eût, au moment de les remplir, appelé son épouse: "Regarde ce que je lui mets : Elève suffisant mais peu nécessaire... Admire les points de suspension!"
Elle se fût esclaffée, il eût pouffé simplement, souriant de lui-même, de son génie bonhomme. Comme, enfant, on arrache les pattes des fourmis, il eût avec constance brisé des ailes.
Malheureusement, il fallut qu'il rédige une thèse de doctorat.
Par erreur, on l'engage, il est pris. Le voici confronté à l'Université. C'est un monde hostile; on n'y pouffe ni ne s'y esclaffe. Sa médiocrité apparaît toute franche. Il ne peut se raccrocher à rien: ses collègues se moquent des fiches pédagogiques, des brochures agrafées. Il ne peut prétendre, avec cela, au mandarinat. Il ne lui reste d'autre choix qu'être sournois.
Car le propre de la médiocrité n'est pas d'envier l'excellence ou la hauteur de vue, et surtout pas d'y aspirer. Sa vocation, et son unique possibilité de plein exercice, est d'y faire obstacle. Il faut asseoir le règne du Mesquin, il faut pouvoir considérer que l'Université n'est pas un lieu d'échange et de savoir - ni même feindre d'y croire -, mais un lieu de calculs, un lieu où l'on constitue des officines, où l'on ne jure que par la norme, la grammaire, la géométrie variable.
Le médiocre respire : à force d'acharnement, il s'est constitué un milieu favorable. Entouré de ses clones, il n'a nul besoin de puiser en lui-même quelque ressource, quelque mérite, quelque motif de reconnaissance. Il est reconnu par ses pairs simplement parce qu'ils se reconnaissent en lui. Et ainsi, vaille que vaille, sont constitués les emplois du temps, ainsi sont humiliés les collègues, ainsi sont formés les étudiants. Le médiocre est Puissant : figure inversée de la République fustigeant l'Ignorance, il colonise les Postes, emplit les Départements, il devient Majorité, il peut enfin Régner, s'épanouir, et remplir ses Bulletins de notes, et les faire lire à qui veut, hilare, les entendre.
Chouchou, je sais qu'on s'aime bien, mais quand même, je t'avais pas donné la permission de me décrire ainsi sous toutes mes coutures!
Rédigé par : Dr. CaSo | mardi 12 oct 2010 à 04:56
Huhu, CaSo, j'ignorais que tu avais une barbe fleurie!
Rédigé par : anthropopotame | mardi 12 oct 2010 à 07:56
Oh, que vous êtes médisant, Anthropopotame. "Il eût été un excellent professeur de collège". Quelle horrible insulte pour les professeurs de collège. Non, non, rassurez-vous, dans le secondaire aussi un médiocre professeur tatillon et suffisant est un médiocre professeur tatillon et suffisant.
Rédigé par : Gali | samedi 16 oct 2010 à 12:44
Le médiocre se répand hors de l'Université, voyez-vous. J'en connais moi-même quelques exemplaires. Et dans le privé même ! Vous vous rendez compte !
Rédigé par : SebeR | samedi 16 oct 2010 à 13:36
Gali, vous avez raison, bien sûr. De plus je ne suis pas très fier d'avoir publié cette note. Elle est pleine de fiel.
Rédigé par : anthropopotame | samedi 16 oct 2010 à 19:50