Quand je rentre crevé le soir à mon hôtel de Neverland, c'est un plaisir, semaine après semaine, de voir la mine déconfite du patron: "Mais je ne vous attendais pas. Aviez-vous réservé?"
C'est notre petit rituel à nous.
Le matin, je le presse: "Alors, il vient ce petit déjeuner?" - "J'ai bien envie de vous renvoyer dans votre chambre", répond-il. "Ou bien j'irai frapper à votre porte à cinq heures et demie."
Au moment de régler la note, je soupire: "Pourquoi ne pas attendre la fin de l'année, et ma dernière nuit ici, pour me présenter l'addition? Et le dernier jour, je vous ferai faux bond: cela me fera des économies."
"J'adorerais vous rendre ce service, répond-il, mais je préfère mon système à moi."
Si je réclame du prix de la chambre, il me dit d'aller voir chez les concurrents. "Justement, pour le même prix vos concurrents proposent un jacuzzi." Il ronchonne tout en riant: "Je vous en donnerai, moi, des jacuzzis!"
Bref, depuis quelques temps, j'entre en scène chaque fois que je pénètre dans le hall de l'hôtel, et mon partenaire est là, prêt à lancer le dialogue et à donner la réplique.
C'est l'avantage des routines que de se prêter à l'improvisation, à la subtile variation sur le même thème, à l'outrance progressive, jusqu'à la totale déraison. Je ne sais comment appeler cette théâtralisation du quotidien, sinon, précisément, "théâtralisation du quotidien"...
Bonjour Anthropopotame,
J'adore vous entendre parler de l'Hôtel Foch. J'ignore pourquoi.
Vous en parlez comme d'une scène de théâtre, j'en parlais comme d'un livre... Et je m'avise que ce petit patron prend dans mon imagination l'allure à peine esquissée, mystérieuse et fascinante, d'un personnage de fiction; un peu terne, manifestement secondaire, obscur et sans visage, mais pourtant frappant. Fugace et inoubliable.
Lorsque je pense au théâtre, je pense d'abord à Shakespeare, et dans l'ombre portée par ce personnage sur mes impressions, tout en surface et en replis, je retrouve les traits de quelques uns de ses passants fascinants, fossoyeurs et gardiens de cimetière, curieux mélange d'étrangeté et banalité.
Un jour, vous devriez écrire une histoire sur cet hôtel.
Rédigé par : Fantômette | mercredi 03 nov 2010 à 12:10
Bonjour, chère Fantômette.
"Fugace et inoubliable": c'est exactement ce que je ressens, car les dialogues que nous tenons, le patron de l'hôtel et moi, sont rôdés et archi-rôdés, mais j'ai beaucoup de mal à les reconstituer de mémoire. Aussi ai-je essayé de ne restituer ici que les amorces, nos échanges sont plus longs évidemment, et partent en vrille assez vite.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 03 nov 2010 à 12:47
Pour moi, en vous lisant, je me sens plutot dans un roman de Simenon.
Rédigé par : claudie | mercredi 03 nov 2010 à 15:14
Plus je vous lis, et plus je vous trouve sympathique.
Rédigé par : Grégoire | mercredi 03 nov 2010 à 16:12
Grégoire, vous me trouvez sympathique parce que je dis que l'hôtel est trop cher?
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 03 nov 2010 à 16:14
Je crois que ce sont les amorces qui sont significatives. Elles 'sont' le rite. Le reste, la suite... c'est ornemental.
Je suis sûre que c'est ce petit patron qui a attribué son rythme à ce petit rituel. Non? Il doit être attaché à l'essence cyclique du temps, mais en même temps, il n'est pas très imaginatif. Je suis sûre que la raison du nom de l'Hôtel est extrêmement prosaïque - du genre, il est situé près sur la place de Maréchal Foch.
Rédigé par : Fantômette | mercredi 03 nov 2010 à 18:39
En effet, l'hôtel est situé rue du Maréchal Foch. Bien vu ;)
Claudie, je n'y avais pas pensé! Très bon endroit pour s'enfermer trois jours et écrire un roman.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 03 nov 2010 à 20:10