La belle S. et moi avons trouvé un moyen simple et efficace de créer du lien social sur les lieux de travail.
S. m'avait en effet proposé, mon anniversaire approchant, de me régler mon cadeau sous forme de "bons pour un bisou".
S. me plaît beaucoup.
Mais elle plaît également beaucoup à B., notre gestionnaire.
Pourquoi alors ne pas revendre à B. les "bons pour un bisou" offerts par S., ou mieux encore, les échanger contre des bons émis par la jolie M., du premier étage, et que celle-ci aurait offert à B. pour son anniversaire à lui?
Ainsi naquit l'idée d'un intéressant système d'échange généralisé, un fait social total au même titre que le circuit de la kula décrit par Malinowski.
En effet, rien n'oblige le détenteur d'un tel bon à en exiger le règlement. Il peut fort bien capitaliser les bisous tout en les remettant à plus ou moins forte proportion en circulation, selon un système de bon et contre-bon. Les bons circuleraient comme des promesses volantes, sans jamais venir à échéance, donc à la conversion en bisous sonnants et balbutiants.
Il faudrait créer dans la foulée une bourse des valeurs du bisou, afin que chaque émetteur voie attribuer une valeur relative à ses bisous, en fonction de son physique, son moral, et le nombre de bons émis. Ainsi, imaginons que X. décide d'entrer dans le serpent monétaire. P. est beau (x = 5 points), légèrement psychorigide (ah, y = 1 point seulement), et émet des quantités considérables de bons pour un bisou (z = 2 pts). Le calcul se fait ainsi: (xy - z)2 + (racine) (xyz) = 3.27
En d'autres termes, un bisou de P. vaut bisou de S./3.27 = pas grand chose.
Evidemment il ne s'agit nullement de faire tourner la planche à bisous. Un émetteur imprudent, confronté à l'exigence de règlement immédiat de la part d'un détenteur de milliers de "bons pour un bisou", pourrait connaître l'équivalent musculaire d'une faillite.
Ce qui importe de toute façon, c'est qu'il s'agit là d'un moyen simple et efficace pour régler les mille menus services qu'on se rend quotidiennement au labo ("Peux-tu me prêter ta gomme?", "As-tu noté quelque chose lors de l'exposé de R?"), tout en caressant le secret espoir d'accumuler suffisamment de bisous émis par la belle M. (ou le beau F.) pour exiger une sortie ou un petit week-end.
Mauss verrait en le sacrifice de tous ces bons chèrement acquis une forme moderne de potlatch; Malinowski désapprouverait la réalisation de ces valeurs en ce qu'elle mettrait à bas le circuit de l'échange. Mais Lévi-Strauss y discernerait certainement la pierre fondatrice d'un système de parenté adaptée à la vie austère de nos labos.
Très intéressante proposition.
Deux remarques :
- pour instaurer un système de don et contre-don, où la circulation se fait dans les deux sens, il faudrait nécessairement un bisou contre-bisou, autrement dit on recevrait un bon pour un bisou lorsqu'on aurait soi-même donné un bisou. Ce qui permet l'échange des bisous (sinon, il y a possibilité de capitalisation ou accumulation primitive des bisous, la circulation des bons pour bisous se faisant toujours dans le même sens, de ceux qui en veulent mais n'en ont pas vers ceux qui en ont et n'en veulent pas, les premiers se retrouvant de fait à terme prolétarisés du bisou). Donc non, le bisou ne peut pas être une monnaie d'échange pour un prêt de gomme, sinon on retombe dans un système inique comme celui de l'argent ; si on veut faire du bisou-coquillage, on peut par contre imaginer qu'un prêt de gomme serait récompensé d'un bisou, lequel donnerait lieu en retour à délivrance d'un bon pour bisou, créant ainsi un lien durable entre les personnes.
- pour que le système de bons pour bisou puisse être comparé à un système de parenté, il y faudrait ajouter l'interdit de l'inceste, autrement dit le tabou sur l'échange des bisous entre certaines personnes - par exemple les professeurs et leurs élèves. Sinon on va droit vers l'abus de bisous sociaux et l'extorsion de bisous par personne ayant autorité, et à terme la mort de la société universitaire par trop de consanguinité.
Comment ça, c'est déjà le cas ?
Rédigé par : La souris blonde | samedi 11 déc 2010 à 18:48
Souris blonde, je pense comme vous qu'un tel système exige des mécanismes de régulation extrêmement stricts, sur le modèle de la Commission de Contrôle des Echanges Boursiers dont, coïncidence, nous pourrions reprendre le sigle.
Mais on peut également partir du principe simple selon lequel "bisou mal acquis ne profite jamais", en pariant sur ses vertus inhibantes?
Rédigé par : anthropopotame | samedi 11 déc 2010 à 18:53
Je me demande comment prendre en compte, dans cette analyse, le bisou sur la bouche, où celui qui donne reçoit en même temps ipso facto un bisou. La circulation se fait dans les deux sens, non?
On pourrait imaginer qu'une société ayant longtemps fonctionné dans une économie de bisou sur la joue accède (au moins) au proto-capitalisme du fait de l'introduction du bisou sur la bouche, qui accroît la valeur-ajoutée du bisou. Comme chacun sait.
Rédigé par : Nicomo | samedi 11 déc 2010 à 20:23
Donner, recevoir, rendre: il faut en effet souligner le bonheur que cette nouvelle dynamique sociale en triptyque, proposé par notre cher collègue et chasseur de bisous, Anthropopotame,a dissémine récemment dans le Centre de recherche et d'échanges de dons affectifs. Les liens sociaux innovatrices établis au sein de ce labo sur la base d'un système de marché de bon en bisous semble, en effet, représenter une solution favorable aux troubles émotionnels dont Anthropopotame témoigne souffrir régulièrement quand il s'agit de choisir entre S. F. et E.(mais aussi X. Y. et Z.). Pour garantir les positions d’autorité des directeurs de recherche et autres, l'arrangement des dons à rendre selon une échelle de valeurs et de degré d'attraction pourra aisément substituer les anciens hiérarchies de pouvoir au sein du département sans menacer l'ordre établi; l'imprévisibilité de la direction du relais de la chaîne des bisous à donner (comme don) et à recevoir (comme contre-dons) gardera pourtant le suspense érotique nécessaire pour faire avancer les travaux et les projets en cours.
En vu de l'expansion frappant du marché noir perceptible à se développer prochainement à l'intérieur du labo (ceux travaillant sur les tropique étant évidemment les plus sensibles à cette dynamique sensuelle), des mesures REDD (NO MORE RED LIPSTICK ALLOWED) on déjà été prises par les responsables afin de contrôler la fréquence et intensité des échanges au sein de ce labo...
Rédigé par : maramulla | dimanche 12 déc 2010 à 12:06
ce marché du bisou ne manque pas de s.e.l (Les Systèmes d’Echange Local, ou Services d’Echange Local, sont des groupes de personnes qui pratiquent l’échange multilatéral de biens, de services, et de savoirs.)
Mais peut on thésauriser le bisou par temps de bise et de disette ?
Rédigé par : evelyna | dimanche 12 déc 2010 à 23:25