Après avoir rongé les branches de mes lunettes, le chat s'allonge sur les copies que je viens de corriger, poussant de temps à autre un soupir.
Voilà plusieurs jours que je l'observe, et que je me propose d'examiner la manière dont deux individus d'espèces différentes bâtissent un monde commun, fondé sur la lecture mutuelle de nos attitudes. Il a eu quelques difficultés à se réhabituer à la vie parisienne après son séjour à la campagne où il a retrouvé sa soeur et ses cousins. Ce qui lui pose problème, c'est le fait que je lui interdis l'accès à la cour durant la journée (trop d'allers et venues), l'absence de chats avec qui il pourrait jouer, et le fait qu'il doive se tenir sage entre le moment où j'éteins la lumière et celui où je me réveille.
Je rappelle au lecteur que ce chat a passé les trois premiers mois de son existence sans autre contact avec les humains qu'un service de croquettes. Lorsque je l'ai amené à Paris, il a découvert que mon corps n'était pas qu'une masse prolongée de mains, mais que j'avais également des yeux, grâce auxquels nous pouvions communiquer. Il s'est durant un temps plongé dans la contemplation de mes yeux, lorsque j'étais allongé, avant de n'en retenir que le caractère fonctionnel.
Il sait à présent que s'il parvient à croiser mon regard, il a de bonnes chances d'être entendu. Cela n'est pas si évident du fait de notre différence de taille.
Après quatre mois de vie commune, un certain nombre de rituels se sont mis en place entre lui et moi, mais aussi entre lui, F. et moi.
Le premier rituel est celui de l'appel au jeu. Le phénomène a été étudié par Mark Bekoff dans l'ouvrage Animal Play qu'il a dirigé. On s'est longtemps penché sur la manière dont le chien parvient à faire comprendre, à un humain comme à un congénère, que les bonds et les assauts seront des bonds et des assauts "pour de faux". Pour cela, le chien adopte une posture introductive (pattes antérieures étendues, arrière-train levé, queue battante, yeux grands ouverts) qui implique que tout ce qui suivra (fuite, morsure, attaques) sera feint, et ne devra donc pas entraîner de réaction violente.
Le chat exprime tout aussi clairement son désir de jouer, et dispose lui aussi d'une belle palette d'expressions: attaque feinte, menée par la bande, queue dressée, dos rond, poil hérissé, suivie d'une fuite surjouée. Mon chat bondit également sur ma cuisse avant de s'enfuir, attendant que je le poursuive. Il sait également se montrer attentif lorsqu'il me voit saisir une feuille de papier: il pense que je vais la froisser pour la lui lancer sous forme de boulette. Il mène aussi des attaques éclairs sur mon dos lorsque je suis assis à mon bureau. Les attaques par derrière sont ponctuées d'un cri mêlant le miaulement au ronronnement, de type "mmmrrrrrâââân!".
Or cet appel au jeu est détourné lorsque le chat veut que je me lève. Nous avons établi, durant notre vie commune, que j'appréciais très peu d'être réveillé au milieu de la nuit pour servir des croquettes. Le chat doit donc attendre l'heure de mon réveil, ou bien le provoquer à bon escient, au moment où je dois de toute façon me lever. Or, durant ces nuits hivernales où il fait nuit jusqu'à huit heures, je me demande comment le chat parvient à affiner sa notion du temps. Deux cas se présentent:
Il cherche à me réveiller même s'il sait que ce n'est pas l'heure. Sait-il que ce n'est pas l'heure? Comment le sait-il? A-t-il un sens de la durée écoulée ou bien se contente-t-il de lire ma réaction? Au tout début, il sautait sur le lit à toute heure, se collait à mon visage, miaulait, grattait le lit pour entrer sous la couette, mais pour en ressortir aussitôt. Surtout, il sautait sur nos pieds ou nos hanches, faisant mine de les attaquer. Lorsqu'il le faisait à trois ou quatre heures, je réagissais violemment, en le balançant hors du lit tout en le grondant. Il sait donc se tenir, mais parfois n'y tient plus. Or il sait que je sais qu'il est dorénavant respectueux de mon sommeil: il feint donc de me respecter mais se livre à de brèves attaques à mes pieds ou mon chevet, pénétrant sous la couette par le pied du lit pour me griffer et disparaître aussitôt, ou bien bondissant sur la tête de lit. Je sais qu'il sait car il est impossible de l'attraper à ces moments-là: il sait pertinemment que je déteste ça et que je n'ai pas envie de jouer.
Voir cette vidéo qui illustre parfaitement la situation:
Si je tiens cette affirmation, c'est que mon chat précédent usait d'une technique similaire; lorsqu'il voulait que je me lève, il se blottissait tout contre moi (posture de sommeil) mais faisait pénétrer de temps en temps la pointe de sa griffe sous mon aisselle, comme par inadvertance. Comme il n'agissait ainsi que lorsqu'il estimait que mon sommeil avait assez duré, j'en déduis qu'il maîtrisait la notion de "faire comme si la griffe était plantée par inadvertance".
Lorsque le chat décide de respecter mon sommeil, il subit un martyre de plusieurs heures durant lesquelles il guette les signes avant-coureurs de mon lever, sachant que je puis me lever définitivement ou bien me réveiller simplement pour regarder l'heure et boire de l'eau. Il doit donc faire la distinction entre mon lever et les simples éveils. Pour cela, il déchiffre un certain nombre de signaux que j'émets, gestuellement ou corporellement: me frotter les yeux, remonter mes genoux pour m'assouplir, et bien sûr, éteindre le réveil, sonnant à ses oreilles comme un alleluia. Il sait qu'il peut alors coller sa face contre la mienne pour me dire bonjour, que je ne lui en voudrai pas, et il trotte plein d'entrain jusqu'à la cuisine, en usant de mes jambes comme de plots servant à son slalom enjoué.
Profite de ces bons moments! Dans quelques années, il sera grassouillet et paresseux et il dormira toute la journée et ses jeux et attaques te manqueront!
Rédigé par : Dr. CaSo | mardi 11 jan 2011 à 15:27
Ils sont bien tous pareils! j'en garde un depuis deux mois, en quinze jours il avait compris le coup du machouillage de sac plastique (très bruyant de bon matin !) suivi de la course effrénée hors de la chambre ( vers la gamelle, la panique n'est pas totale) au moindre signe de réveil énervé. J'adore fermer rageusement la porte derrière lui...Il se croit tout permis alors qu'on se connait à peine !
Rédigé par : beljame | mardi 11 jan 2011 à 23:12