Dans un conte de Guimarães Rosa, nommé Desenredo ("Dénouement"), un nommé João, amoureux d'une femme mariée, et devenu son amant, la voit fuir avec un autre. Le mari abandonné a le soutien du village. Mais il meurt. Afin de retrouver celle qu'il aime, João se livre a un exercice délicat que l'art poétique de Guimarães Rosa rend possible: il "dénoue" le réseau d'intrigues et de rumeur, il remonte à l'origine de l'histoire puis repeint le tableau, il dépeint celle qu'il aime comme une femme immaculée, il "déconverse", comme si les conversations, soumises au temps, pouvaient être reprises à la source comme on remonte une rivière. Une fois son aimée redevenue innocente, il va la chercher dans le village où elle a fui et la ramène sous les vivats. Guimarães Rosa conclut son apologue en disant que le bonheur, trois fois, passe à notre portée. João par deux fois le laissa échapper, mais sut le saisir à la troisième opportunité.
Je raconte cela car mes chats et moi avons regardé hier le film Revolutionary Road, avec Leonardo de Caprio et Kate Winslet. Un jeune couple dans l'Amérique des années soixante, certain qu'un avenir radieux les attend, que rien n'est joué, se trouve enfermé dans une banlieue résidentielle, lui étant soumis à des horaires de bureau, et elle isolée dans une grande maison qu'elle entretient. Lorsque la situation soudain leur apparaît insupportable, la jeune femme propose un marché: ils iront à Paris, elle travaillera comme secrétaire, il disposera du temps qu'il lui faudra pour songer au métier qui lui donnerait du plaisir. Le projet les enthousiasme: les préparatifs vont bon train, les voisins écrasés par la révélation que leur vie, après tout, n'est pas une fin. Comme le dit un fou qui apparaît de temps en temps, il faut de la lucidité pour voir l'impasse, mais du courage pour voir la désespérance.
Alors que le grand chambardement approche, la jeune femme tombe enceinte, tandis qu'on propose au jeune homme un travail tout aussi inintéressant, mais mieux payé. Pour le convaincre, son patron lui annonce: "Crois-moi mon petit, dans la vie tu auras UNE opportunité comme celle que je te propose; tu regretteras amèrement de ne pas l'avoir saisie".
Et voilà que l'entrain, la joie mêlée d'inquiétude du couple, qui voulait affronter l'inconnu, est miné par ce rappel à l'ordre. Il cède. Elle ne lui pardonne pas. Elle tente un avortement et meurt, il accepte le poste.
Etrangement je me suis retrouvé à la fin de ce film totalement ébranlé. Vivant depuis trois mois dans une médiocrité confinant à l'absurde, la question des limites du supportable m'a souvent travaillé. Quel seuil de tolérance pouvons-nous atteindre, et quel signal vient nous dire que le seuil est dépassé?
Or le film montrait l'hésitation suprême, celle qui vient tout faire basculer, celle qui commence par ébranler la confiance qu'on peut avoir l'un en l'autre, et en sa capacité à recommencer...
Il hésite: elle cesse de l'aimer. Quoi qu'il fasse à présent, il ne la regagnera plus.
Il mise avec prudence: il perd bien plus que s'il avait tout misé.
ah ah, j'aurai du te proposer de venir voir Le repas de V. Novarina à la maison de la poésie, ça t'aurait mis d'humeur joyeuse
LA MANGEUSE OURANIQUE.
Je suis la Femme de Force et je sommes son engendrement.
L’AVALEUR JAMAIS PLUS.
Je suis Jean Rien, qui va qui vient qui vit en Engendré.
L’HOMME MORDANT ÇA.
Je suis le rangeur de tout : Jean Tripode.
JEAN QUI DÉVORE CORPS.
Procédez maintenant au sacrifice de la vie par la mort !
LES MANGEURS PLUSIEURS.
Procédons.
L’AVALEUR JAMAIS PLUS.
Je lève mon verre à la suite des choses.
LE MANGEUR D’OMBRE.
Portez ma vie sans suite dedans !
Et en lien avec ton article de la veille: une expo photo: http://www.autresbresils.net/spip.php?article2023
Rédigé par : evelyna | dimanche 06 fév 2011 à 13:16
Ah ben ah ben qu'est-ce que j'apprends?? Tu vas à la maison de la poésie et tu ne me dis rien?
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 06 fév 2011 à 14:42
"Quel seuil de tolérance pouvons-nous atteindre, et quel signal vient nous dire que le seuil est dépassé?"
Il semble que l'individu (humain ou animal, si tant est que l'on puisse parler de l'animal en ces termes) apprenne à ignorer le signal très facilement. Il tombe alors dans la résignation profonde, et peut continuer à oeuvrer.
Le but de tout politique n'est il pas justement de disposer de ces masses résignées et silencieuses...
Rédigé par : Domi | mardi 08 fév 2011 à 11:27
Domi, je me suis souvent posé cette question, à savoir si nous nous demandons à quel moment nous franchirons le seuil alors qu'il est déjà largement dépassé. Je pense que l'on s'y laisse prendre une fois, mais pas deux...
Rédigé par : anthropopotame | mardi 08 fév 2011 à 19:48
Ah, une fois, deux fois... Le décompte suppose un être en état de penser encore de manière autonome. Or, la résignation rend autiste et incapable de ce décompte. Ainsi, les "fois", en nombre variable, sont peut être passées devant nous sans même qu'on s'en rende compte.
Rédigé par : Domi | mercredi 09 fév 2011 à 00:21