C'était au temps où je vivais à Lisbonne.
Je faisais régulièrement des allers-retours à Evora, dans l'Alentejo. Dans ma vieille Fiat je traversais des plantations de chênes-lièges clairsemés, le sol couvert de fleurs jaunes, blanches, violettes.
Cette vision était si belle qu'un jour je suis entré dans un petit chemin et l'ai suivi jusqu'à une retenue d'eau. Aucune maison, rien ni personne. En-deçà du lac principal, il y avait des séries de dérivations et de petits canaux.
Dans ces canaux, il y avait quantité de grenouilles rousses, des couleuvres aux aguets. Une couleuvre était en train d'avaler une de ces grenouilles. Plus loin, une tortue cistude prenait l'air. Là encore, quatre ou cinq couleuvres en attente.
Jamais de ma vie je n'ai été frappé par un tel sentiment d'abondance. Les chênes-lièges vivent leur vie sans pesticides. Les insectes abondent, les grenouilles également. La faible démographie humaine permet aux serpents de se déplacer sans craindre qu'on leur écrase la tête d'un coup de talon. Quant à la cistude, menacée partout en Europe, elle semblait à son aise, et mon irruption ne l'avait pas fait frémir.
Nous sommes accoutumés à penser que l'Europe et ses écossystèmes sont pauvres et ne nourriraient pas leur homme. Mais ce sont nos pratiques qui les ont réduits à cela. C'est collectivement que nous avons sacrifié une nature riche et généreuse au profit de champs ouverts tuant toute faune et flore aux alentours. C'est également un choix collectif que de décréter que les zones pavillonnaires sont prioritaires, et qu'il faut leur sacrifier les bosquets, les zones humides, les couloirs de passage. Enfin, c'est aussi notre choix que d'avoir quadrillé le territoire de voies rapides, bloquant toute circulation de faune, entrant dans une logique de "régulation" et de "prélèvement" dont nous ne savons plus comment sortir.
Rédigé par : |