Choqué comme tout le monde par les malheurs qui frappent l’Afrique. Cette année au programme : la Somalie.
Les gangs locaux exigent des commissions pour permettre à l’aide humanitaire de parvenir aux camps de réfugiés. 10.000 dollars en part fixe, plus une part variable pour accéder aux affamés.
Une telle information ne surprend que ceux qui pensent qu’une cause simple – la sécheresse – a des conséquences simples : les gens ont faim, vite qu’on apporte du riz !
Même enfant décharné, anonyme, trempant son doigt dans la bouillie. Même marmite posée devant une bâche de fortune, une femme son bébé dans le dos qui touille, qui touille. Bientôt la cuiller couverte de mouches.
Le même problème, décennie après décennie, n’appelle pas toujours la même solution, à moins d’estimer qu’il suffit de donner à manger à ceux qui ont faim, en prenant là où la production est abondante – par exemple en Argentine. Mais les humains ne sont pas qu’un gosier et vivre ne saurait se limiter à attendre, jour après jour, l’arrivée du camion de farine et de riz.
La pauvreté en Afrique, et les famines qui y sévissent, sont structurelles, sciemment ou inconsciemment entretenues, puisqu’elles sont par bien des aspects fort lucratives.
Revenons dans les années 70. C’est au cours de cette décennie que les famines ont commencé à frapper. La première, celle du Biafra, fut d’ailleurs provoquée par un blocus visant à étouffer des velléités sécessionnistes. Et durant la même décennie, une forme de néo-colonialisme bien-pensant, fondé sur un militantisme outrancier, fit basculer la démographie africaine dans la démesure. On appliqua des campagnes de vaccination sans aucun souci de ce qu’une terre pouvait produire. On multiplia les enfants au sein de foyers qui ne pouvaient les nourrir. La courbe démographique du Niger est éclairante à cet égard, ce pays où la pauvreté est endémique.
La surpopulation paysanne entraîna d’une part la dégradation des terres arables, d’autre part la migration accélérée vers les villes – cela sans présumer des spoliations diverses dont ces populations furent victimes. De là, c’est vers l’Europe qu’il fallut exporter le surplus de naissances. Et cela se poursuit aujourd’hui : du Mali, du Sénégal, de Mauritanie ou d’ailleurs, l’Afrique produit des bouches qu’elle ne pourra nourrir. On a infligé à ce continent un remède qui, dans les pays occidentaux, fut le fruit d’une lente évolution économique et sociale : industrialisation, scolarisation, politiques de santé entraînant un déclin de la mortalité infantile. En commençant par la fin – faire décliner la mortalité infantile – on a obéré toute chance d’évolution progressive et sans heurt.
Mais cette situation n’aurait pu perdurer s’il n’y avait tant de gens pour y trouver leur compte. Les élites africaines sont en première ligne. Combien de Bentley et Rolls Royce dans le garage du fils Bongo ? Pourquoi le pétrole pollue le Nigeria et affame les populations du littoral alors que sa rente aurait pu être redistribuée ? Parce que le pouvoir, national ou local, est un enjeu économique avant d’être politique. Pourquoi enrayer la pauvreté si la pauvreté permet d’engranger une confortable aide internationale ? Cette aide va dans la poche de ceux qui gouvernent : commissions, pots-de-vin, détournements divers. Ce sont des systèmes mafieux que la solidarité internationale entretient.
Le fonds de commerce d’innombrables ONG, où l’Occident déverse ses âmes compatissantes, désireuses de caresser de petits orphelins. Le prestige du cliché qui vous montre, seringue à la main, vaccinant un petit paysan qui vaut génériquement pour « un petit Africain ». Qui se soucie d’où il vient ? C’est du pareil au même. Somalien, Guinéen, même combat perdu d’avance, mêmes sommes brassées grâce à la générosité aveugle des uns, pensant solder je ne sais quelle dette, et la cupidité sans borne des autres, qui bénéficient de la situation grâce aux injections régulières de fonds de solidarité, et des sommes envoyées à leurs familles par les exilés, les malheureux migrants qui se saignent sur nos chantiers.
Bonjour,
Je suis globalement d'accord avec ce que vous écrivez mais il me semble que, même vous, n'échappez pas à une lecture simpliste. Vous semblez penser qu'une population africaine innocente et une population occidentale naïvement compatissante se font arnaquer par des élites africaines prédatrices. Ce que vous ne dites pas, c'est que si la misère, qui existe dans beaucoup de pays africains, perdure, c'est d'abord parce qu'un ordre économique mondial la nécessite. Les élites prédratrices africaines ne sont que les supplétifs interchangeables d'élites économiques mondiales qui peuvent s'en donner à coeur joie dans la plupart de nos pays grace à la faiblesse de nos institutions et au faible niveau d'éducation de la grande partie de la population. Superposez une carte des conflits et une carte des ressources naturelles et vous verrez.
L'exemple du Niger que vous donnez est assez emblématique. Comme tous les observateurs français, vous vous focalisez sur la démographie nigérienne mais vous ne dites bien évidemment rien sur la succession de présidents étroitement contrôlés par votre propre pays et qui ont été maintenus ou démis en fonction de leur utilité à AREVA. Quand Tandian essayait de modifier la constitution nigérienne pour rester au pouvoir, il a bénéficié du soutien actif de la France contre l'avis de son peuple et de sa magistrature jusqu'à ce que ça en devienne embarrassant vis a vis de l'Europe. Pour info, Sarkozy a fait une visite éclair à Niamey pour dire à l'opposition républicaine qu'il fallait qu'elle accepte une modification constitutionnelle illégale et a envoyé des juristes pour expliquer que cette modification n'était pas contraire à la loi fondamentale du pays. Peu étonnant alors que Tandian ait été assez indifférent aux souffrances de son peuple en pleine famine puisqu'il avait le soutien de la France et que lutter contre cette famine aurait nécessité d'augmenter les ressources du Niger en renégociant les accords avec AREVA ce qui lui aurait valu à coup sûr de perdre le pouvoir. La démographie nigérienne me parait un facteur d'explication bien moins pertinent de la pauvreté de ce pays que le fait que depuis son "indépendance" l'ancienne puissance coloniale lui a confisqué la seule ressource naturelle dont elle aurait pu se servir pour mener une vraie politique de développement: l'uranium.
Je suis d'accord avec vous que l'aide, les ONG etc... ne servent à rien mais est-on prêt à faire ce qu'il faut pour que les pays africains se développent? Je ne le crois pas. C'est un processus qui prendra du temps, qui se fait de manière différencié selon les pays africains et qui a plus de chance d'aboutir dans les pays sans ressources naturelles comme le Sénégal ou le Cap Vert que dans les pays riches en matière première comme le Niger ou la Guinée. Parler comme vous le faites des "malheurs de l'Afrique" est une généralisation qui me parait abusive et peu favorable à la compréhension de ce qui se passe.
PS: Désolé pour la longueur du commentaire et j'espère que vous ne le prendrez pas comme la réponse-de-l'africain-qui-refuse-de-voir-que-l'Afrique-est-responsable-de-ses-malheurs.
Rédigé par : Hady Ba | dimanche 31 juil 2011 à 17:33
Bonjour Hady Ba, ne vous inquiétez pas de la longueur de votre commentaire, j'ai écrit cette note pour savoir ce que vous en pensiez.
Pour "les malheurs de l'Afrique", désolé, il s'agit en effet d'une généralisation, et je ne pense nullement que parce qu'on est pauvre on est bon et innocent.
Mais vous avez peut-être tendance à généraliser vous aussi en faisant de la Françafrique la responsable des misères entretenues. Va pour le Niger. Mais le Nigeria? Le Mali? La Côte d'Ivoire? La Somalie? La Guinée équatoriale? Le Mozambique? La Guinée Bissau? Je ne suis pas sûr que votre idée de superposer les cartes des ressources naturelles et celles des pouvoirs confisqués par des élites les verraient étroitement juxtaposées...
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 31 juil 2011 à 18:20
Non, je ne dis pas que la Françafrique est responsable de tout. Le développement est un processus lent avec des aller retour incessants. Un cas neutre est celui du Sénégal: la France a beaucoup d'intérêts économiques chez nous mais pas de ressources naturelles à confisquer. Du coup, quand Wade essaie de se maintenir au pouvoir, la société civile a beaucoup plus de latitude pour le faire plier. Il n'est pas sûr que nous y arrivions mais au moins, c'est une négociation interne normale. Si nous avions des ressources naturelles, je serais infiniment moins optimiste.
Je pense que les ressources naturelles d'aident pas, loin de là. Pour la carte, j'en ai parlé de manière vague parce que je ne la retrouvais pas mais elle a été réalisée et c'est assez frappant. Ce n'est cependant pas la seule explication. Ce que je dis, c'est que les pays d'Afrique sontdivers et confrontés à des problèmes différents. Ça ne fait que cinquante ans qu'ils sont indépendants alors c'est un peu normal qu'il y ait des dysfonctionnements causés par des forces soit internes, soit externes. Par exemple j'ai toujours pensé que le conflit ivoirien qui vient de s'achever est totalement la faute des élites de ce pays, la France n'ayant fait que stabiliser ses propres intérêts quand ça a été nécessaire. Je ne pense donc pas que la méchante France soit responsable de nos problèmes. Il y a des mauvais choix politiques, des structures sociales suicidaires dans certains pays mais il y a également une influence externe très forte et qui fait que des états non fonctionnels sont objectivement dans l'intérêt des anciennes puissances coloniales ou des multinationales. C'est cette complexité qui me paraissait absente de votre article.
PS: Encore une fois, je suis d'accord avec une grande partie de ce que vous avez écrit, autant sur la perversité de nos élite et sur le système des ONG.
Rédigé par : Hady Ba | dimanche 31 juil 2011 à 19:40
Pardon, mais je ne suis pas sûr que la misère des populations soit une condition à l'exploitation des ressources naturelles. Le contrôle des élites et leur maintien au pouvoir du fait d'intérêts économiques n'explique pas l'explosion démographique et la migration comme seule solution...
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 31 juil 2011 à 23:12
Voici ce à quoi je pense: http://en.wikipedia.org/wiki/Resource_curse. La misère n'est pas une condition de l'exploitation des ressources. C'est une conséquence de l'existence de ressources naturelles dans une société aux institutions faibles et peu préparées à gérer une telle situation.
L'explosion démographique me parait tout à fait normale dans des sociétés où les conditions de vie s'améliorent mais où le niveau d'éducation, notamment des femmes, ne suit pas. Mais je ne crois pas que soit la population le problème: l'Europe est deux fois plus dense que l'Afrique et ce n'est pas un problème (71 contre 33hbts/km2). La population africaine va augmenter avant de se stabiliser. Le fait que certains d'entre nous émigrent aussi me parait normal. C'est ainsi que fonctionnent les humains. La plupart cependant restent/retournent en Afrique. Il y a plein de problèmes dans les pays africains mais je pense qu'ils se régleront avec le temps de manière globalement endogène tout comme les problèmes majeurs de l'Europe ont pris du temps à se régler.
Rédigé par : Hady Ba | lundi 01 août 2011 à 00:50
Fort bien, mais on s'éloigne d'un point central de ma thèse, qui est que la pauvreté en Afrique fait l'affaire de bien des gens, élites africaines et chefaillons locaux en premier lieu.
Par ailleurs, désolé, mais l'explosion démographique ne me paraît absolument pas (je répète : ABSOLUMENT PAS) normale. Evidemment je suis malthusien mais franchement je ne vois pas l'intérêt de faire des enfants qu'on ne peut pas nourrir, comptant sur la migration pour absorber le surplus. A cette aune pourquoi ne pas coloniser l'Antarctique?
Rédigé par : anthropopotame | lundi 01 août 2011 à 18:17
Je ne crois pas que ceux qui font beaucoup d'enfants le fassent en se disant que la migration absorberait le surplus. Ils sont dans des environnements où la misère est normale et où ils ont cette idée que sur chaque bouche, la Providence veillera. C'est une manière de voir qui change avec l'éducation ou avec une politique autoritaire.
Je suis moins inquiet que vous parce que je ne suis pas malthusien mais un optimiste béat.
PS: Je suis d'accord avec le point central de votre thèse.
Rédigé par : Hady Ba | mardi 02 août 2011 à 01:00
Si sur le fond des raisons de la pauvreté vos points de vue tiennent la route, il me semble que l'on manque l'ignominie communicationnelle de l'affaire : pourquoi en parler maintenant alors que la situation empire depuis plusieurs mois? Les ONG ne sont certainement pas toutes blanches (...hum...), mais on peut aussi penser qu'elles alertent depuis longtemps sur la situation. Pour exemple cet article http://appablog.wordpress.com/2009/02/26/somalie-les-niveaux-actuels-de-malnutrition-et-de-maladies-risquent-de-s%E2%80%99aggraver/ indiquant une dégradation de la situation alimentaire en 2009 dans la corne de l'Afrique.
On en cause aujourd'hui car les médias n'ont pas leurs petites urgences politico-idéologiques de proximités car les copains sont en vacances. Le panneau d'affichage est en promo, et avec un peu de chance on peut culpabiliser le bronzeur des plages.
Rédigé par : Vincent M | vendredi 05 août 2011 à 11:13
Bonjour,
Je suis tombée sur votre blog par hasard et c'est une belle coïncidence.J'ai cherché à me documenter sur les indiens Pataxo,ayant suivi votre cours, c'était une référence que j'avais; et comme par hasard je tombe sur votre blog (enfin je crois au vu des photos...)
J'écris en ce moment un livre (plutôt fantastique) avec une amie qui a voyagé en Amérique du sud, dont le personnage expérimente le chamanisme lors de son voyage(d'où mes recherches).
J'en profite d'être tombée sur votre blog pour vous demander si vous auriez des références de livres intéressants sur ce sujet, pour que je puisse agrémenter mon histoire de manière tangible(enfin si je ne me suis pas trompée de personne).
En vous remerciant par avance.
PS: votre blog est très bien fait( mais au vu de la qualité de vos cours ce n'est pas étonnant)
cordialement.
Une élève parmi le flot
Rédigé par : lydia | dimanche 07 août 2011 à 23:21
Bonjour Lydia, je ne sais si c'est bien de moi qu'il s'agit, mais je crois qu'en effet je suis moi (vous voyez qui je veux dire).
Pour le bouquin sur le chamanisme, vous pouvez lire "Voir, savoir, pouvoir", de Jean-Pierre Chaumeil. Le même Chaumeil a publié il y a cinq ou six ans un recueil d'articles avec Denise Laigle sur les chamanismes contemporains.
Si c'est le côté folklorique du chamanisme qui vous intéresse, il y a les différents livres de Castaneda, un peu trop New Age à mon goût mais bon...
Bien à vous
Rédigé par : anthropopotame | mardi 09 août 2011 à 22:21
Bonjour,
Merci pour votre réponse, j'ai en effet lu quelques livres de Castaneda,qui ne m'ont pas aidé dans mes recherches. Pour cette partie du livre c'est plutôt le vécu d'une anthropologue face à une culture différente.
Merci pour votre référence de livre!
Encore bravo pour votre blog très intéressant, d'ailleurs si ça vous dérange pas, je vais aller fouiner voir si celui-ci ne peut pas être aussi une source pour mon bouquin...
Lydia
Rédigé par : lydia | lundi 15 août 2011 à 18:32