Voilà quelques années que je m'intéresse aux questions de territorialisation, c'est-à-dire aux formes d'attachement au territoire, et au lien qui peut exister entre un espace donné et une communauté humaine.
On dispose pour cela de quelques indices: les usages, les transmissions, les "communs", plus quelques indices impalpables comme la mémoire des lieux et les épisodes associés à tel ou tel endroit.
Finalement, l'épreuve reine dans ce type d'approche est la "carte mentale", c'est-à-dire la représentation, par les habitants eux-mêmes, de leur espace vécu. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsque le territoire est également nourricier, donc lorsque les habitants en tirent leur alimentation (horticulture de subsistance, chasse, pêche).
Mais voilà qu'une institution me sollicite pour évaluer deux projets de recherche, l'un en anthropologie, l'autre en géographie-aménagement. Or tous deux reprennent, jusqu'à la caricature, les idées exposées ci-dessus. Tous deux affirment, sans aucune preuve, que les territoires structurent les identités, prouvent les résistances des identités locales face à la société nationale, déchiffrent dans le vide des formes d'expression (musique, danse) qui forgeraient ces identités.
Et je me demande si c'est le destin des sciences humaines et sociales, après des phases de proposition et d'avancées, que de se caricaturer elles-mêmes en usant des mêmes ficelles et en lançant des hordes d'étudiants sans imagination saccager des terrains comme le firent en leur temps les Francs, les Suèves ou les Huns.
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