J'ai participé à une battue au sanglier ce dimanche, en Bourgogne, invité par Didier.
A huit heures, on réunit les chiens (quatre), nommés pilou, garou, élan et ??, mais désigné plutôt sous les termes de fox, nivernais, terrier... Les sangliers, eux, sont appelés "cochons".
Il y a plusieurs tailles de chiens. On emmène aussi de minuscules roquets car les plus grands, les chiens courants, ont la fâcheuse habitude de disparaître dès qu'ils lèvent un gibier. La plus grande partie du temps de chasse est consacré à les rechercher, cornant, appelant: "Pilou! Garou!", déplaçant la voiture et interrogeant les gens de passage.
La première partie de la chasse consiste à "faire le pied": sur le territoire imparti au club de chasse, chaque membre fait un tour précis, destiné à rabattre le gibier vers le centre du territoire de chasse, à relever des pistes, à faire prendre l'air aux chiens tenus en laisse.
Pistes laissées dans les champs par le passage de chevreuils et sangliers:
Une fois ce tour effectué, on se retrouve à la cabane (quinze personnes s'y trouvaient) pour échanger les informations et attribuer les postes de guet. Certains resteront immobiles, d'autres battront les bois et la campagne, les chiens en liberté.
Pour ceux qui restent aux poste de guet, le froid guette. Pour ceux qui font la battue, ce sont les branches des sous-bois qui les battent, en leur fouettant le visage. Gervaise a tout de même trouvé des pieds de mouton. Je me suis extasié devant les fusains et les cynorhodons. Belles couleurs hivernales, surtout les vallées qui se dessinent, chaque bosquet à distance arborant un ton de gris différent sous le ciel chargé.
Des coups de corne annoncent tantôt un renard, tantôt un lièvre. Pas de sanglier ni de chevreuil. Quant on en voit, il est toujours trop tard, et il y en avait toujours sept ou huit, devenant dix en fin de journée. La ruse des sangliers exaspère les chasseurs.
Les chasseurs avaient entre 30 et 70 ans. Deux d'entre aux avaient amené leur garçonnet. Ils ne se connaissent pas autrement qu'à travers les faits de chasse. Didier ne connaissait pas les métiers des uns et des autres, sauf des amis proches. Ils ne parlent que de chasse: souvenirs de chasse, et surtout exclamations au sujet de ce qu'ils ont vu, fait, auraient pu voir et auraient pu faire si l'animal s'était trouvé là où on l'attendait.
"Là je me suis dit il file tout droit vers les granges; si Laurent avait poussé jusqu'au virage il les aurait eu. Ils ont sauté dans le champ, ça cognait dur, j'ai pensé: ça y est ils ont débandé."
"sauter"= traverser, "cogner" = aboyer, poursuivre. La question de l'origine et de la destination des sangliers fait l'objet de spéculations interminables, entremêlées de rappels de situation du passé (les sangliers sont supposés conserver leurs itinéraires). A entendre ces échanges, je me demandais si leur but n'était pas de permettre aux chasseurs de tenir ensemble, en tant que chasseurs, forme de small talk spécialisé, un peu enthousiaste. Quant aux itinéraires des sangliers, je me suis demandé s'ils n'étaient pas fantasmatiques, si les sessions de voyance au sujet du coteau ou du fond de vallée où ils étaient censés réapparaître ne tenaient pas de l'invocation aux esprits. En fait, non, comme nous le verrons un peu plus loin: les chasseurs ont une réelle prescience du parcours des sangliers.
Après le déjeuner (délicieux Graves, Irancy et Chitry, terrine de lièvre, poulet maison, pomme de terre maison) nous reprenons la battue. Tandis que nous discutons, voilà des sangliers qui passent (on saura plus tard qu'ils avaient été repérés par un autre village deux heures avant). Branle-bas de combat: les chiens sont lâchés, on passe les gilets fluos, on charge les fusils, et quand on est prêt, les sangliers sont loin. L'un des chasseurs chasse à l'arc: lui ne porte pas de gilet et n'a pas de chien. Il se poste dans les bois et attend des heures durant.
Didier et moi marchons, marchons, marchons, il est pendu au téléphone, fait des signes aux majestueux 4x4 qui évoluent librement dans les champs. Echange d'information et de pronostics. Didier évoque mille possibilités invariablement conclues par "mais j'y crois pas". On entend les chiens à très, très grande distance. En voilà enfin un qui revient.
J'ai peur de rater mon train: ça y est je le rate. Didier me garantit le suivant. Pas de chance, un sanglier est repéré: "Il va chez Laurent, je suis sûr qu'il l'aura". Et en effet le sanglier, à 17h, au moment où cessait la chasse, est abattu. Didier m'explique que s'agissant de sangliers, les chasseurs sentent leur sang bouillir. La traque les rend fous (les chasseurs). Quand un sanglier est abattu par l'un d'entre eux, dans leur petit groupe, c'est une joie unanime. Rendez-vous est donné à la cabane où les photos seront prises et le sanglier dépecé.
Les chiens, eux, sont loins. Les chasseurs déposent une vieille veste dans les bois et normalement y retrouvent les chiens couchés le lendemain. Plus question pour moi d'attraper mon train... J'appelle Gaëlle qui a la gentillesse de venir me chercher et m'emmène à Joigny, à 40 km de là.
Je me souviendrai longtemps du passage, de cabane en cabane, à la recherche des chiens de Didier. Petits groupes de chasseurs saisis dans leur intimité buissonnière, hommes de bois dominicaux, touillant la marmite, se souciant assez peu de chasser.
Wah, une description très intéressante, merci.
Rédigé par : mkd | vendredi 16 déc 2011 à 19:25
Description honnête et édifiante à plus d'un titre. Pourquoi chassons-nous encore ? Je suis plus que jamais avec les sangliers. Si je chassais (très improbable), je chasserais les chasseurs. A l'arc, évidemment.
Rédigé par : Cornel | vendredi 23 déc 2011 à 13:50