Les slogans tels que "faisons un geste pour la planète" ou "sauvons la planète" inversent les causes et les effets. Ils donnent le sentiment qu'aider la planète serait équivalent à donner 5 euros pour les lépreux. Ils traduisent l'idée bien ancrée selon laquelle c'est la nature qui dépend de nous, et non le contraire. Un peu comme si, posés sur une branche, des ingénieurs s'interrogeaient, en termes éthiques ou esthétiques, sur l'opportunité de la couper, oubliant simplement qu'ils tomberaient avec.
Pour l'environnement, il n'y a que parlottes. L'Arctique est découpé en tranches et ses ressources pétrolières éloignent le spectre du tarissement énergétique. L'Etat investit 6 milliards d'euros dans la construction d'un EPR quand ces 6 milliards, investis dans la recherche portant sur la photosynthèse, eussent probablement débouché sur des panneaux solaires totalement nouveaux, dont chaque ville eût pu s'équiper.
Lorsqu'il s'agit de prendre des décisions dans le sens d'une politique écologique, l'Etat s'exonère de ses responsabilités, invoquant la nécessaire concertation, la sensibilisation préalable... Pourtant le même Etat a toutes les données en main; les résultats des recherches les plus récentes, toutes les modélisation qu'il le souhaite, et des milliers de chercheurs prêts à témoigner.
Lorsqu'il s'agit de décisions économiques, en revanche - brader le patrimoine de l'Etat, ébranler la logique des impôts progressifs - le citoyen n'a nul besoin d'être informé, encore moins sensibilisé à une politique qui l'appauvrira, lui et ses descendants.
Il y a quelque chose de faussé dans la manière dont nous sommes gouvernés. Manque aussi la capacité de mobilisation que pourraient avoir les arbres et les bêtes, bloquant des raffineries, défilant sur les Champs-Elysées, réclamant enfin d'être considérés.
La capacité de mobilisation des arbres... ça me fait penser à un épisode du Seigneur des Anneaux, où la forêt de Fangorn attaque la citadelle de Saroumane. Ah ! Que ne sommes-nous de tels arbres !
Rédigé par : La souris blonde | lundi 30 jan 2012 à 16:22
C'est vrai, j'avais oublié cet épisode. Dans le film, il était très réussi.
Dans Macbeth aussi, le Bois de Birnam finit par marcher sur Dunsinane. Mais c'est parce que des hommes se cachent derrière les troncs...
Rédigé par : anthropopotame | lundi 30 jan 2012 à 16:24
Je me demande s'il ne serait pas possible d'analyser tout cela à l'aune d'une grille de lecture qui ferait ressortir des modèles de rapport hommes-nature, et d'une réflexion sur leurs développements: mouvements, et contraintes sur ces mouvements.
Je suppose que l'on constaterait en l'occurrence un déséquilibre de ces différentes forces s'exerçant à l'intérieur des modèles, ou pour passer d'un modèle à l'autre.
Rédigé par : Fantômette | mercredi 01 fév 2012 à 12:08
Bonjour Fantômette, heureux de vous voir vous promener sur mes sombres rivages :)
Les modèles de rapports société/environnement ont été exposés dans la somme de Philippe Descola, "Par Delà Nature et Culture" (Gallimard, 2005). Il décrit quatre grands modèles: naturalisme, animisme, analogisme et totémisme, chacune de ces attitudes ou soubassements cosmologiques entraînant des rapports spécifiques, plus ou moins respectueux, plus ou moins voués à l'identification, la prédation ou à la recherche d'un équilibre.
De fait, nous passons bien souvent d'une relation à l'autre, en fonction du contexte.
Ma note a pour objet de souligner un glissement dans nos représentations occidentales, le passage d'une nature à dominer et posséder vers une nature à "gérer", comme si elle nous avait appartenu de tout temps.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 01 fév 2012 à 12:56
Ah, mais oui, je me souviens de ces modèles de Descola. Vous aviez du les évoquer, et j'avais été voir ça de plus près.
Je me demande cependant si votre position n'est pas un peu incomplète. Il me semble que la nature, en même temps qu'elle était à dominer et à posséder, comme vous le dites à juste titre, était concomitamment source de représentations parfaitement terrifiantes. Forêts profondes, océans, animaux sauvages...
Le désir de domination était une "réponse", me semble-t-il, une "réaction" de l'homme face à la nature (même si, bien entendu, elle n'était pas la seule possible, et ne le fut d'ailleurs pas).
Du coup, je me demande à quelle nouvelle représentation la volonté de "gestion" (et aussi bien celle de "protection") répond...
On "gère" son patrimoine, certes, et ça pourrait être une partie de la réponse, mais peut-être pas la seule.
On gère ce dont on est maitre, mais plus précisément, on gère ce qui, sans nous, ne résisterait pas aux forces du désordre, aussi, me semble-t-il... Et on protège le faible et l'incapable, ceux pour lesquels on se sent une certaine responsabilité.
Peut-être sont-ce là ces nouvelles représentations de la nature auxquelles nous réagissons: faible, incapable, et "désordonnée". Ce qui est, effectivement, assez souvent faux.
Ça me fait penser à l'histoire d'Oradour sur Glane. Je ne sais pas si vous y avez été, et si vous avez été frappé, comme je l'ai été, par le fait que le principe de conservation du village d'Oradour sur Glane, pour des motifs d'intérêt historique évidents, a pour effet étrange que l'on a du se mettre à "entretenir" ce qui est, littéralement, de simples ruines.
Autrement dit, à figer un état de désordre et de chaos.
Je n'ai jamais vraiment réussi à me faire une opinion à ce propos, sur qui me semble être à la fois une sorte d'hommage paradoxal rendu aussi bien au chaos qu'à l'ordre qui doit lui être imprimé, pour qu'il reste chaos.
Rédigé par : Fantômette | mercredi 01 fév 2012 à 17:28
La figure d'Oradour-sur-Glane est bien choisie: elle offre un aperçu de l'état de la planète d'ici quelques années.
Avez-vous lu "Le Mal propre" de Michel Serres?
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 03 fév 2012 à 10:32
Non, je ne l'ai pas lu. C'est intéressant?
Rédigé par : Fantômette | vendredi 03 fév 2012 à 11:11
Bon sang de bois, même mes commentaires ne passent pas!
Oui, le Mal Propre est intéressant. Michel Serres défend la thèse du "polluer pour s'approprier": les humains salissent les zones qu'ils s'approprient de manière à ce qu'aucune autre espèce n'en profite après lui.
Quant à votre remarque sur la crainte suscitée par la nature, je crois qu'elle n'était plus de mise entre les XVIIIe et XIXe, moment où l'Occident fut saisi d'une frénésie technologique. Il y a une bonne illustration de cette confiance en la technique dans une scène de Heart of Darkness, où des cuirassés européens bombardent la forêt tropicale.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 03 fév 2012 à 12:07