Comment ne pas bondir de sa chaise quand notre président ou nos ministres emmènent dans leur bagage des représentants de grandes entreprises, et cherchent à placer des Rafale ou des EPR comme des représentants de commerce?
Un gouvernement peut-il pêcher la légitimité populaire dans les urnes puis gouverner avec ceux qui se targuent de leur poids économique?
Ce fut le cas au Brésil, durant la période appelée République des Oligarchies, de 1893 à 1930. Deux Etats, principaux producteurs de café: le Minas Gerais et Sao Paulo, étaient aussi les plus peuplés. Principaux pourvoyeurs de devise, détenant un quasi monopole sur le marché mondial du café, ils alternèrent au pouvoir jusqu'à ce que la crise de 29 les jettent à bas.
Le poids économique du café, déjà écrasant sous l'Empire, leur permit d'orienter la politique nationale en fonction de leurs intérêts: dévaluant la monnaie lorsque les cours étaient bas, la renchérissant lorsqu'ils étaient hauts, tandis que la population vivait au quotidien le prix fluctuant des denrées importées. Ils noyautèrent tous les postes de décisions, distribuant des faveurs, attribuant des marchés. Ils achetèrent la loyauté des autres Etats en construisant des routes ou distribuant des fonctions.
J'ai entendu Michel Baylet ce matin à la radio. Je n'avais sur lui aucune opinion. Mais il a présenté un concentré d'inanité politique très éclairant sur ce qu'on appelle "oligarchies".
Il est d'abord représentatif par son âge et par la diversité des fonctions qu'il a exercées. Parvenu à cet âge, la détention d'un même mandat tend à indiquer que celui-ci lui appartient, qu'il détient un fief, et que de par son poids politique aucun parti ne viendra le lui contester. C'est l'inamovibilité.
Il est ensuite représentatif par la manière dont, ce matin, il appuyait aveuglément, et d'avance, toute initiative que prendrait le premier ministre ou le gouvernement - en l'espèce, sur la définition légale, plus ou moins restrictive, du burn-out. A une autre question du journaliste, portant sur les désignations en tête de liste aux prochaines élections, il invoqua naïvement la loyauté du Parti Radical pour évaluer le nombre de membres qui devraient être désignés par la Majorité. C'est la distribution de faveurs.
Enfin, toujours sur le burn-out, son discours convenu: "sujet grave... sujet complexe... soyons prudents... ce n'est pas toujours la faute des entreprises..." Employer la langue de bois est un réflexe politique - un peu comme la réticence des paysans à exprimer leur opinion - qui masque l'absence d'empathie (il n'avait pas réfléchi aux souffrances engendrées par ce syndrome) et l'absence de réflexion. C'est la logique de parti.
Cette même logique est aux manettes quand des hommes politiques de l'Opposition, alors qu'ils ont négocié pied à pied en commission parlementaire, se drapent dans leur vertu pour proclamer qu'ils ne voteront pas telle loi, ou qui, comme Nicolas Sarkozy, stigmatisent "l'absence de conviction" de François Hollande, sans que personne ne s'esclaffe dans la salle qui l'écoutait. Leurs loyautés sont ailleurs. Ils existent sur la scène publique; ils brodent sur ce qu'ils ont entendu dire au sujet d'une réalité qui n'est pas la leur.
Le jeu politique relève du théâtre: les discours sont écrits d'avance, et la salle est complice.
Mais cette institution repose sur les myriades de grandes et petites mains - les producteurs, chefs d'entreprise; les décorateurs et costumiers, militants aspirant un jour à monter sur scène. Et nous autres: c'est-à-dire tous ceux qui ont renoncé à aller au théâtre malgré le battage qui se fait tous les quatre ans autour de la nouvelle pièce.
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