Si j'étais néandertalien, j'arriverais en fin de course. Les membres du groupe devraient mâcher ma nourriture, je ne m'éloignerais guère de la grotte et compterais sur la solidarité des camarades pour faciliter mes derniers mois de vie.
Mais je ne suis pas néandertalien, et je puis encore me demander s'il vaut la peine de me reproduire ou non. Je ne suis pas sûr de vouloir que mon ou mes enfants soient confrontés, en 2050, non seulement au chômage mais aussi aux problèmes d'accès à l'eau et à de nouvelles guerres provoquées par la montée des mers et océans.
J'observe une dégradation conjoncturelle de notre société, qui montre que le bien-être social, la protection des biens et des personnes, les services publics, sont également des phénomènes conjoncturels. Le retour d'Argentine m'inspire quelque crainte quand je constate que la tiers-mondiarisation, c'est-à-dire le maintien ou le développement d'une sous-société, est à la portée de chaque pays, hélas. Une société du tiers-monde se caractérise par l'exclusion d'une frange importante de la population (dans des proportions qui restent à quantifier) du fameux contrat social: pas d'accès au logement, pas d'accès aux soins, pas d'accès à l'éducation. En contrepartie, cette sous-société ne paye pas d'impôts ni d'amendes, étant insolvable, et peut compter sur l'abondance des déchets produits par les classes sociales intégrées.
Vient un moment où il est plus avantageux pour une famille d'envoyer ses enfants mendier ou vendre des chewing-gum dans les bus ou les métros plutôt que de les envoyer à l'école. On vit dans la rue, on récupère des canettes d'aluminium, des restes de nourriture, des cartons, et cela suffit pour vivoter. Un marché existe pour ces populations: les magasins "tout à un euro (ou réal, ou peso)" où l'on achète les poupées des fillettes, les gourdes et autres récipients, les peignes, brosses... Sans compter tous les vendeurs ambulants de nourriture avariée. Quand la frange exclue dépasse un certain seuil, on voit se développer cette société de sous-consommation, alimentée par les produits de Chine ou du Paraguay. Briquets qui explosent à la troisième utilisation; chips frelatées; hamburgers constitués d'abats et de reliquats de nourriture pour chien. On peut vivre ainsi, tous les besoins sont satisfaits.
Et rien ne peut y mettre un terme, sinon des politiques d'inclusions sociales volontaristes, comme en mène le Brésil de Dilma Rousseff (garantir une nourriture et des revenus en échange de la scolarisation). Mais l'humanité continue de croître à un rythme exponentiel. Toute région vouée au développement se peuplera rapidement, il n'y a pas de limite à la croissance humaine. Villes-champignons amazoniennes, passant de 2000 à 100.000 habitants en seulement quelques années, et nouvelles villes projetées... Cela n'aura jamais de fin, pas plus que le mitage des campagnes françaises. La protection de l'environnement ne concernera plus que des zones de plus en plus limitées, rongées de toute part.
Je ne puis m'empêcher de songer à cela, au moment où je devrais m'engager dans de nouveaux programmes. A quoi bon? A quoi bon? C'est la seule question que je me pose.
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