Je suis en train de lire La Grèce et les Balkans d'Olivier Delorme, Gallimard 2013 (trois volumes).
Le volume 2 porte sur les 1ère et 2e guerres mondiales. La première Guerre, dans les Balkans, a duré de 1913 à 1923. Moins de vingt ans plus tard, la 2e Guerre allait se poursuivre en Grèce par la guerre civile. Un demi-siècle de massacres, de destructions, de déportations ou d'échanges de populations, églises, temples ou mosquées rasés, livres détruits... Autant le volume 3 me semblait trop marqué par les positions de l'auteur (pro-serbes en particulier), autant ce volume 2 dessine un panorama effrayant des relations entre Serbes, Croates, Slovènes, Roumains, Bulgares, Albanais, Grecs et Turcs et du rôle qu'y ont joué les Puissances. Ce qui se passe au Moyen Orient aujourd'hui (si l'on se rappelle que l'Irak, depuis 40 ans, n'a connu que la guerre et les privations) ressemble à une répétition.
Considérée par Churchill comme un fief de l'Angleterre, voulant à tous prix rétablir la royauté, les Grecs résistants de l'ELAS ont été dépouillés de leur victoire au profit des conservateurs, réfugiés en Egypte avec le Roi. Dans sa crainte de voir la Grèce tomber aux mains des communistes, Churchill a humilié l'ELAS, a condamné les soldats grecs d'Egypte, qui voulaient se battre et se sont battus aux côtés des Anglais, à des marches forcées et à la famine provoquée, fusillant ou laissant mourir les soldats anti-royalistes.
De Gaulle avait su créer un gouvernement provisoire qui s'est imposé à Roosevelt, en dépit de l'hostilité de celui-ci. Pour Roosevelt, la France était un pays vaincu. Elle devait être placée sous commandement anglo-américain et administrée par les libérateurs. De Gaulle n'a pas laissé faire: il a été plus rapide, s'est fait acclamer lors d'un bref passage sur les plages du Débarquement, et Roosevelt a dû s'incliner.
En Grèce, tandis que l'immense majorité de la population - hommes, femmes, enfants - était engagée dans la résistance, et alors même que Hitler reconnaissait leur bravoure et la difficulté des Allemands à contrôler la Grèce (voir plus bas), l'intransigeance des Monarchistes a mené à la Guerre Civile, cependant que l'ELAS avait implanté sur le territoire grec une Laocratie, une démocratie directe où dans chaque village hommes et femmes étaient également représentés.
J'aime Churchill et n'apprécie pas que l'on crie au complot des Puissances contre les braves peuples voulant se gouverner eux-mêmes. Mais l'intrusion permanente de l'Angleterre dans les affaires grecques, et notamment son attachement à une monarchie velléitaire et partisane, est pour beaucoup dans les aléas politiques qui se sont poursuivis en Grèce jusqu'à nos jours, notamment la soumission aux diktats de la Turquie. Syriza se trouve pieds et poings liés face à une Union Européenne qui semble attendre que, de lui-même, Tsipras prenne la décision de sortir de l'Euro. Une fois encore, les Grecs voient leur existence bouleversée par des impositions et des restrictions venues de l'extérieur. Au lieu d'être traitée comme un partenaire européen, la Grèce subit un traitement humiliant digne d'un protectorat ou d'une colonie.
Voici deux citations, l'une de Clemenceau, l'autre de Hitler.
La première porte sur les prétentions de la Turquie de Kemal à réannexer les territoires perdus à l'issue de la première Guerre Mondiale. Voici ce que répond Clemenceau, en 1919, à l'ambassadeur de Turquie (Delorme, vol. 2: 877-878) :
"Le Conseil [des Quatre] est bien disposé à l'égard du peuple turc, dont il admire les excellentes qualités. Mais il ne peut compter au nombre de ces qualités l'aptitude à gouverner des races étrangères. Dans toute son histoire, on ne trouve pas un seul cas, en Asie, en Europe ou en Afrique, où l'établissement de la domination turque sur un pays n'ait été suivie d'une diminution de sa prospérité matérielle et d'un abaissement de son niveau de culture. Que ce soit parmi les chrétiens d'Europe ou les mahométans de Syrie, d'Arabie, d'Afrique, le Turc n'a fait qu'apporter la destruction partout où il a vaincu."
- il suffit de comparer la prospérité actuelle de Famagouste, ancienne capitale économique de Chypre, à celle de Nicosie, ville secondaire devenue siège du gouvernement chypriote, pour constater la justesse de ces propos.
L'autre citation est de Hitler. Elle vient après la prise de la Crète par les parachutistes allemands (opération Merkur du 5 au 21 mai 1941, alors que le contrôle des aéroports aurait dû être assuré en une journée - Delorme: 1073 passim) où la population crétoise toute entière a attendu les parachutistes, armés de fourches et d'escopettes, et après les combats en Epire et ailleurs où la bravoure des Grecs oblige Hitler à repousser à l'été l'invasion de la Russie (Delorme: 1077):
"L'équité historique m'oblige à constater que, de tous les adversaires qui nous ont affrontés jusqu'à ce jour, c'est le soldat grec qui a su se battre avec une vaillance et un mépris de la mort égaux aux nôtres. Il a capitulé seulement quand toute résistance est devenue impossible (...) Aussi bien, par égard pour la tenue vaillante de ces soldats, les prisonniers grecs ont-ils été ou sont-ils immédiatement relâchés."
Les Grecs paieront toutefois au prix fort leur résistance massive et permanente: famine d'Athènes que ma grand-mère, ma mère, mes oncle et tantes ont vécu, massacres de villages et d'otages (100 pour un Allemand tué). Les Grecs, au contraire de l’État-major de l'armée française des Pétain et des Weygand, ne se sont jamais avoués vaincus. A aucun moment les Allemands n'ont réellement occupé la Grèce: là-bas, la guerre a bel et bien duré quatre ans.
Delorme a publié son livre au moment où les Européens ont besoin qu'on leur rafraîchisse la mémoire sur le martyre de la Grèce. Les membres de la Troïka ne peuvent se pavaner simplement dans Athènes en tapant sur les doigts de Tsipras ou Varoufakis. A part l'Angleterre et la Yougoslavie, aucun pays n'a su affirmer à ce point son courage.
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