Dimanche, Cachoeirinha do Amazonas, colocação de Manoel Rodrigues Pessoa.
Nous arrivons à midi. Teresa et Raimundo m’abandonnent car, disent-ils, Sabá ne montera pas jusqu’à eux.
Le campement de Manuel (dit « Gordinho ») est très bien aménagé. Il est accompagné de sa femme, sa belle-mère, sa bru, ses fils et son gendre Cleude, dit Jacaré. Il y a là également deux saisonniers et un neveu. La forêt nous entoure, un carapa (andiroba) abattu sert de réserve de bois. Bientôt le hors-bord de Sabá (voadeira, dit localement catraia) arrive, porteur de deux géographes. François et Anna ont remonté l’Iratapuru avant de redescendre et de s’engager dans l’Amazonas. Sabá doit encore les conduire, avec Nego, en amont, afin de retrouver la secrétaire de la coopérative. Finalement François part seul avec eux, Anna et moi allons chasser avec Manoel, Luís (frère de Sabá) et Jacaré, plus quatre chiens. Anna a d’abord fait une démonstration de sa valeur au tir sur cible : elle tire en l’air puis désigne la cible qu’elle avait choisie ; Manoel et Luís acquiescent, admiratifs : « ela acertou ! ».
J’accompagne la troupe l’esprit tranquille : je sais que je porte la poisse aux chasseurs et donc le gibier ne risque rien ; bien sûr, si l’on apprend que je suis porteur de panema je risque d’avoir des problèmes, donc je suis le groupe, main dans les poches. Manque de chance, les chiens sont parfaitement dressés ; ils finissent par émettre l’appel du pécari (caetitu) et les chasseurs n’ont plus qu’à attendre qu’ils l’acculent. Le pécari passe sous notre nez, puis disparaît. Nous le retrouvons réfugiés dans un tronc creux ; les chiens déchirent l’écorce, les hommes bloquent l’issue en plantant des pieux. On n’y voit rien ; Jacaré tire au hasard dans le tronc, puis finit par discerner la masse sombre. Deuxième cartouche : le pécari se met à râler. Troisième, il tombe en soupirant. Un chien s’engouffre et le tire en arrière, jusqu’à l’ouverture que nous avons pratiquée dans le tronc. Coincé, le pécari lève encore la tête en montrant ses canines. Luís lui tire une balle de 22 dans la tempe, mais rien n’y fait, le pécari ne veut pas mourir. On tente de lui trancher la gorge avec un terçado, il secoue la tête. L’enthousiasme d’Anna n’en finit pas de retomber. Finalement on le pend par les pattes de derrière jusqu’à ce qu’il se détende et finisse d’agoniser.
C’est une femelle solitaire qui pèse une vingtaine de kilos et les chasseurs se relaient pour la porter jusqu’au camp. Elle laisse des traînées de sang et de sueur sur leurs chemises. Je crois comprendre que les cartouches et les balles qu’ils utilisent sont sous-dimensionnés pour ce type de gibier.
Après dépeçage, le foie est bouilli puis grillé en brochettes, et la viande cuite en ragoût. Nous mangeons également une fricassée de hocco au lait de noix du Brésil vraiment délicieuse. Une fois couchés dans nos hamacs, nous écoutons la pluie qui vient par vagues, un roulement sourd progressif puis les gouttes crépitant sur les bâches qui recouvrent les abris.
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