Quelques heures encore à Oiapoque...
Je suis rentré hier d'une mission de six jours en mer et sur le fleuve Cassiporé, accompagnant les agents de l'Ibama dans leur voyage de contrôle des pêcheurs et des récolteurs de crabe de mangrove dans l'aire du Parc National du Cap Orange. Cinq nuits sur le bateau "Peixe-Boi" qui à la fin du voyage était franchement poussif.
J'ai également passé une journée à Vila Velha do Cassiporé, bourgade située à la limite du Parc et dont les habitants commencent à se rebeller contre l'IBAMA qui leur interdit de tuer les jaguars. Quelle est la différence entre la loi de Dieu et celle des hommes? ai-je demandé. Aucune, me répondit-on, sinon que Dieu donne du travail à tous et que la loi des hommes n'en donne pas. La contrepartie exigée est la création de 120 emplois dans la communauté.
Vila Velha ressemble beaucoup à Sao Francisco do Iratapuru. Là aussi, le représentant de la communauté est également rezador (celui qui dit les prières en l'absence de prêtre) même si la communauté est divisée par l'irruption de l'Assemblée de Dieu, protestante. J'ai eu une conversation remarquable avec Dona Sueli, une dame d'une cinquantaine d'année toute pétillante d'intelligence. Elle élève un bébé tapir et a six filles, dont trois vivent sur place, et deux autres à Oiapoque.
L'aînée, qui vit à Oiapoque, se prostituait dans les garimpos (sites d'orpaillage) ce qui fait qu'elle a un contact assez direct avec les hommes. La cadette (ci-contre) m'a enchanté de ses parfums. La plus jeune a treize ans et semble emprunter le même chemin. Rencontres assez troublantes...
Avec les récolteurs de crabe, le travail des agents est encore plus difficile. La récolte des crabes dans la mangrove, entre les taons et les moustiques, est particulièrement ingrat et seuls y vont ceux qui n'ont d'autre choix que cela ou les sites d'orpaillage. Nous sommes tombés sur un camp de ces pauvres gens, monté entre les grands palétuviers siriuba, leurs pneumatophores rendant la marche difficile.
En réalité, il serait impossible de discerner ces campements sans l'oeil exercé de nos pilotes, Kelson et Murissoca. Le campement était jonché de détritus et de piles. Les hommes, une dizaine, était en train de tresser les palmes d'inaja pour faire des paniers de récolte. Les agents ont réuni tout le matériel et l'ont brûlé, et détruit trois pirogues sur quatre, leur en laissant une pour qu'ils puissent pêcher en attendant qu'on vienne les rechercher. Impossible de les embarquer: nous manquions d'eau et de nourriture sur le bateau.
Dans un autre bras de mer (igarapé do papagaio), un autre campement, répugnant celui là. Nous attendons quelques instant, et voilà que de la mangrove émergent quatre hommes, deux vieillards claudiquants et deux adolescents, qui avaient eu le temps de dissimuler les crabes et la plus grande partie de leur matériel. Nous n'apprenons pas grand-chose avec eux.
J'ai pu discuter avec les autres, je leur ai tenu le discours habituel du préserver pour maintenir les ressources naturelles et donc l'activité - sinon, vos enfants ne pourront plus aller chercher des crabes car il n'y en aura plus nulle part. Réponse: si nous faisons ce travail c'est justement pour que nos enfants n'aient pas à le faire à leur tour.
En mer, nous avons contrôlé une dizaine de bateaux, la plupart avaient eu le temps de remonter leurs filets avant notre arrivée. Vous savez qu'il s'agit d'une aire protégée, pourquoi venez-vous ici? Parce que c'est ici que se trouve le poisson. Résultat: 800 kg de poisson et deux km de filets appréhendés.
Comme ces missions sont parfois dangereuses (les pêcheurs sont bien les mêmes partout) nous étions accompagnés de quatre agents de la police militaire armés jusqu'au dents. Une exception: Helena, une Maranhense qui voyant l'état de la cuisine du bateau a pris les choses en main. Ses filles vivent à Macapa, elle est détachée à Oiapoque pour payer les traites de sa maison - situation fréquente. Sa présence transformait notre bateau: chacun s'efforçant de lui complaire, de la croiser sur le bastingage, de boire le café face à elle au crépuscule. Dieu nous permet d'affronter toutes les épreuves disait-elle. Comme j'aurais voulu la croire.
La première nuit au large fut éprouvante, le bateau secouait dans tous les sens et l'un des policiers a crié 'On va chavirer! Prenez des gilets de sauvetages!' Mais le mouvement était tel qu'il était quasi impossible de s'extraire des couchettes.
Les autres nuits furent plus calmes, dont l'une magnifique dans un bras de mer, entourés de mangrove et de cris d'ibis et de hérons.
Dans l'après-midi, alors que nous étions échoués dans l'entrée d'une crique, à la merci des taons et sans ombre sur le bateau, Ricardo m'a demandé en riant: "Floriano, que fais-tu ici? Tu pourrais être assis à une terrasse sur les Champs-Elysées". Et à cet instant, vraiment, je me posais la question.
Je suis rentré hier soir, brinquebalant encore à cause du roulis, et je repars ce soir, par la route, pour Calçoene puis Cunani, qui fut une éphémère République frappant monnaie encouragée par la France au plus fort du conflit entre France et Brésil pour la domination du littoral au nord de l'Amazone, à la fin du XIXe siècle.
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