Geraldo Getulio Baiano est d'un âge et d'un poids respectable. C'est un artisan réputé: il fait des calebasses décorées, mais il a souffert d'une hémorragie cérébrale et ses gestes manquent d'assurance lorsqu'il grave à la surface des caïmans ou des oiseaux. Il porte sur la poitrine un sachet contenant une noix de cajou, car il est également diabétique et subit parfois des baisses de pression.
Son épouse l'assiste dans ses moindres gestes - elle est vêtue de couleurs vives, toute parée de colliers. Lorsque je lui pose une question, c'est son mari qui répond. Tous deux mettent la dernière main à une série de calebasses, et je leur passe commande: Getulio note soigneusement le motif, aux côtés des noms que je lui demande de graver - mais sa main tremble tant que je regrette aussitôt.
Mais Getulio est aussi benzedor (bénisseur) et connaît un certain nombres de prières, les pota, destinées à éloigner les esprits malfaisants. Voici ce qu'il m'en dit:
"Mon père était bon, mais il était arawak, c'est un type de gens, c'est ce qu'on nous appris, "arawak" étaient des gens à qui on donnait ce nom. Aujourd'hui nous sommes Galibi, Arawak, Marworno. Ce sont nos aïeux qui nous l'ont enseigné. Mon arrière-grand-père s'appelait Antonio Charles, il habitait ici-même, c'était un Indien très vieux. C'était lui qui nous enseignait à l'époque. Car la langue que nous parlons aujourd'hui n'est pas le galibi, nous l'avons perdue, je ne sais pas pourquoi, je ne l'ai pas apprise avec lui, même pas quelques mots. Je sais juste que "chien", en galibi, se dit "Kakuxi", et "chat", "surasura kakuxi".
Aujourd'hui nous parlons patua, qui est du créole, et nous avons oublié notre langue. Je ne sais si vous connaissez Lux Vidal, elle a travaillé longtemps par ici. Avec le Turé, nous apportons nos calebasses, ça c'est de la culture indigène. [Phrase apprise par coeur]
Je sais bénir, je sais prier - je ne sais rien des karuãna; ces prières je les apprises une fois, elles sont restées gravées dans ma tête, comme dans un magnétophone. J'ai appris à bénir les choses. Quand un enfant prend peur d'un animal, je le bénis et il guérit, c'est un "pota" qu'il faut pour bien bénir. Quand il prend peur d'un chat, d'un chien, d'un jaguar, d'un caïman, il faut bénir au nom de l'animal. C'est ainsi que nous guérissons par ici. Un enfant s'épouvante [se espanta] d'un chien ou d'un chat, il va avoir de la fièvre, il aura peur, il va crier "Papa, Maman, la bête vient m'attraper", alors on le bénit, et il se calme. Cela peut-être un caïman, une loutre, un jaguar... Cela n'arrive qu'aux enfants. Alors moi, par exemple, je vais prier, je vais chanter le nom du chien, en galibi c'est très compliqué, écoute bien, celle-ci c'est pour le chien: [Il chante:] "Kaku ximbu, Kaiku ximbu, Kaikuxi timolamembo yaneta Kaku ximbu, Kaikuxi, Tontairana, Kaikuximbu Kaikuxi, aaah..."
Laissez-moi écouter pour voir. Bon, maintenant, voici celle du chat: "Kakuximbu, Kaikuxi, sora sora Kaikuxi, Kakuximbu asolé, Timulembo yaneta, ximuru gani xipicu, ximpicoco impa nicacu tobeco yaleta" [je ne sais si les linguistes comprendront ce que je transcris...]
"Timoroné" c'est quelque chose qui attaque l'enfant, il devient "timoroni", alors on chante ainsi pour suspendre, pour qu'il ne résulte pas de mal. "Sura sura" c'est le chat, c'est le jaguar de la maison. "Kaikuximbu assura" c'est la maison, "sura sura" c'est la maison [sic], donc c'est le jaguar de la maison. Le chat, on le considère comme un jaguar. Moi je chante ce pota si l'enfant est épouvanté par un chat. Si c'est un jaguar: "Kaikuximbu, Kaikuxi, hummm, hummmm, Kaikuximbu Kakuxi, tontairana, tontairana, Kaikuximbu Kakuxi. Hum han Kakuxi, Tontairana Kaikuxi, timolembo yareté, kaikuximbu Kakuxi..."
Ce "tontairana" c'est le centre de la forêt qui appelle, c'est le jaguar qui habite dans la forêt, c'est cela qu'on appelle Kaikuxi, c'est le jaguar, Tontairana c'est la forêt de terre ferme. Ce chant, c'est mon grand-père qui me l'a enseigné. Mon grand-père s'appelait Antonio Charles dos Santos. Je l'ai bien connu, étant enfant, nous allions pêcher en pirogue, et il chantait cela pour me l'enseigner. Si on ne prie pas pour cet enfant, l'animal peut le tuer, le tuer vraiment, car ces animaux de la forêt ne plaisantent pas, quand il prend un enfant il ne le lâche plus, il le prend carrément jusqu'à créer une faiblesse et l'enfant meurt.
Les bêtes sont méchantes [Os bichos são malignos], je chantais comme cela pour bénir l'enfant, souffler sur lui, et il va aller mieux. Sinon, si on ne chante pas le pota, viennent toutes sortes de maladies: fièvre, étourdissement, vomis. Moi je n'ai jamais été épouvanté par une bête, mais un de mes enfants en est mort. Ces pota sont destinés à tous les enfants, quand on voit un enfant dans cet état on sait déjà de quoi il s'agit. On va le voir, on le bénit bien, une fois, deux fois, et voilà."
La conversation dérive ensuite sur les rapports avec les autres peuples. Getulio m'apprend que la guerre entre Galibi et Palikur s'est résolue aux moyens de chants, lancés d'un fleuve à l'autre par les pajés. Il ne donnerait pas sa fille en mariage à un Palikur, car, dit-il, "Cada macaco no seu galho" ("chaque singe sur sa branche"). Et à un Blanc? Getulio se méprend et s'énerve: "je ne vous connais pas suffisamment, Monsieur!"
Dans cet entretien, deux aspects intéressants surgissent à mon sens: le premier est que savoir ancestral et savoir récemment mis au jour par les études de Lux Vidal et de ses élèves s'entremêlent. L'autre chose est que, lorsqu'il s'agit d'affronter l'esprit d'un animal, d'un individu animal, il n'est pas besoin d'être pajé. Le pajé, lui, a affaire aux karuãna qui sont les esprits-maîtres des animaux et des rivières.
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