30 octobre, mardi
Sur le fleuve Oyapock, encore, je regarde le soleil se coucher.
Comme tous les soirs, le ballet de pirogues de ceux qui rentrent chez eux.
Rona revient de St Georges.
Moreira passe devant moi: e ai, Floriano, toma uma gelada? Une bière glacée. La grande forêt devant.
Je ne verrai plus jamais cela.
La fille de Lucia, Vanessa (7 ans) vient me raconter sa journée de travail, puis dessine sur mon carnet.
Je ne serai plus ici demain soir, mais dans l'avion. J'ai remis mon rapport au personnel de l'IBAMA, indifférent. M., indifférente à mon retour, n'a pas fait signe. Paulo Silva: indifférent à mon départ. Juste un bel adieu de Coaraci et d'Estela.
Moi qui prétendais brûler mes vaisseaux, je les laisse couler. Sans vouloir me vanter, je dois être le pire anthropologue du monde: tout autour je ne vois que naufrages.
J'aime beaucoup votre série de billets sur la Mission Oiapoque.
Entre science, observation, mémoire, votre propre vie et celles des autres, votre maladie et celles des autres - et la nécessité de trouver les mots pour dire tout cela. Tout un ensemble de thématiques, de concepts et de formes qui s'entrelacent, se répondent en écho et dont la seule observation fascine.
J'ai souvent eu l'impression de vous y voir errer comme dans un labyrinthe.
Un étrange et paradoxal labyrinthe, en vérité, dans lequel curieusement, vous vous perdez surtout pour y trébucher sur trop de fils, que vous tentez en permanence d’attraper, de dénouer, de rassembler, sans jamais y parvenir parfaitement.
J'ai trouvé ce matin, au petit-déjeuner, cette citation de Claude Levi-Strauss qui m'a semblée s'ajuster si parfaitement à l'ensemble de ces billets qu'il m'a paru urgent de vous en faire part (peut-être la connaissez-vous déjà ?) :
"En voyageant, l'ethnographe - à la différence du soi-disant explorateur et du touriste - joue sa position dans le monde, il en franchit les limites. Il ne circule pas entre le pays des sauvages et le pays des civilisés : dans quelque sens qu'il aille, il retourne d'entre les morts".
("Diogène couché", dans les Temps Modernes n°110, mars 1955)
Rédigé par : Fantômette | samedi 28 mar 2009 à 11:08
Cette période, et la mission qui vient s'y intercaler, est particulièrement douloureuse. J'ai l'impression, pour pasticher Lévi-Strauss, d'y avoir laissé ma peau, du moins une de mes peaux.
Mais le retour ne s'est accompagné d'aucune renaissance, ni résolution, ni découverte majeure. Comme un tournant dans l'existence où l'on perd une aile, ou une roue, mais où l'on s'aperçoit que cela n'empêche pas d'avancer.
Rédigé par : Anthropopotame | samedi 28 mar 2009 à 11:15