"La Globo a un je ne sais quoi / Que vous connaissez très bien / C'est le "quoi" de Qualité / Cette qualité qui nous pousse toujours plus haut, plus loin / Sans jamais perdre notre crédibilité, et jusqu'à l'émotion la plus pure / Respectant la liberté d'opinion et la neutralité des positions / La qualité de la Globo va au delà de ce qu'on voit: elle est dans ce qu'on sent /Qualité des deux côtés : de notre côté et du vôtre / Des décors à 300 000 dollars jusqu'aux détails des costumes / C'est ce qui nous permet depuis si longtemps d'apporter dans votre maison, dans tout notre Brésil / nos désirs d'exigence etc."
Ce discours de propagande récité par les stars de la Globo dans un montage qui les met en scène sur le plateau de leurs émissions et novelas respective était montré environ dix fois par jour, ce qui fait que je l'ai plus ou moins mémorisé.
Qu'est-ce que la télévision en général ? Une entreprise d'écervelage. Qu'est-ce que la Globo ? Une entreprise d'écervelage particulièrement réussie.
Disons-le tout de go : j'adore les telenovelas. J'ai compris progressivement que la Globo, au contraire de Balzac qui inventait le retour des personnages, avait inventé le retour des acteurs, et c'est irrésistible : comment lutter contre le charme de Deborah Secco, de Leticia Spiller ou Deborah Falabella ? Contre la gouaille d'Antonio Fagundes et la présence d'Edson Celulari ? Quand on connaît ces acteurs, ma foi, on peut attraper n'importe quelle novela et se retrouver en terrain familier. Comme un reporter peut s'afficher tantôt en Sibérie, tantôt en Terre de Feu, la belle Deborah Secco se trouve tantôt dans une favela de Rio, tantôt dans une villette du Minas au XVIIIe siècle. D'après son air, on devine si elle est dans le camp des gentilles ou des méchantes, et ce n'est pas la peine de chercher à en savoir davantage.
Mais les novelas ne sont que la partie émergée de l'iceberg : la Globo fonctionne en double circuit fermé : fermé sur le Brésil, et fermé sur elle-même. Passons sur la tranche d'actualité "le tour du monde en une minute" qui en dit long sur l'approfondissement des conflits et crises extérieurs au Brésil. Ce qui est extraordinaire et intrigant, c'est l'extraordinaire décomplexion avec laquelle la Globo se met en scène, elle et ses porte-drapeaux que sont les artistes et les animateurs.
J'ai pu assister aux ultimes épisodes du BBB (Big Brother Brasil). C'était la huitième édition : les journaux signalaient que les postulants au million de réaux avaient si bien étudié les éditions précédentes qu'ils avaient compris que la plus stricte neutralité était de mise pour empocher le gros lot. Résultat : aucune scène croustillante, pas de dispute, peu de flirt, un évitement permanent des conflits. Les plus actifs (un psychiatre nommé Marcelo et une Thatiana qui passait son temps à hurler) sont sortis bien vite. Ne sont restés en lice que les deux plus ternes, Rafinha et Gyselle, leur affrontement, inexistant à l'écran, passant par les votes de leurs Etats respectifs (Piaui et São Paulo). Le présentateur Pedro Bial avait beau les pousser dans leurs derniers retranchements, ils ne faisaient que répondre : "je suis comme je suis, je suis sincère". On les faisait passer au détecteur de mensonge, et hélas, ce qu'ils disaient était vrai : ils évitaient les conflits par tempérament, et non par stratégie. Furieuse des images parfaitement ineptes qui émergeaient jour après jour (les candidats enfermés dans leur chambre, ne parlant pas, ne lisant pas, à la rigueur allant se préparer un sandwich, ou mangeant ensemble un petit déjeuner offert par Nestlé, Nestlé écrit partout et eux concluant : merci Nestlé !), la production multipliait les épreuves humiliantes. La dernière fut extraordinaire, digne des meilleures expériences menées sur les rats : les candidats devaient s'enfiler dans un labyrinthe, et en une minute, ramasser le plus de piles communes et Duracell que possible, la Duracell valant huit points et la commune 1 point. Puis ils devaient, une après l'autre, déposer leurs piles dans une urne en déclamant : "Commune... commune... Duracell...", le présentateur insistant pour qu'ils brandissent bien la pile devant la caméra. Ces jeunes gens transformés en supports publicitaires, parfaitement conscients qu'ils l'étaient, mais songeant qu'un million de réaux valait bien ce détour par la merchandisation, étaient peut-être, après tout, de véritables stratèges. La Globo en tous cas a gagné davantage puisqu'on a compté 70 000 000 d'appels à 10 cts d'euro pour l'élimination finale de Gyselle (élimination largement orchestrée par la chaîne, le présentateur ne se gênant pas pour la traiter de manipulatrice, opposant sa "détermination" à la "prédestination" de Rafinha, orientant ainsi légèrement les votants), puis aux invitations multiples sur les différents plateaux des émissions phares, où les candidats répétaient à l'envi leur joie, leur sincérité, leur amour de la famille, et finalement commentant longuement l'évolution de leur tour de taille et de leur coupe de cheveux.
Mais la Globo est loin d'être la pire. Les chaînes évangéliques qui monopolisent quasiment le réseau hertzien font mieux encore, mais je les ai peu regardées car chez João elles étaient brouillées. Le mieux : la Band a patronné une jeune femme emprisonnée durant trois semaines pour avoir volé du lait en poudre (pour nourrir ses enfants), en lui payant un avocat et fournissant des aliments de base à sa famille durant son absence. Résultat : à sa sortie elle doit enfiler le T-shirt pimpant du supermarché qui a fourni les "cestas basicas" et embrasser ainsi sa mère et ses enfants, suivie caméra à l'épaule depuis la porte de prison, le présentateur annonçant "regardez bien comme elle va embrasser sa mère en pleurant", sans que l'on comprenne bien si la chaîne encourage le vol de lait en poudre ou la rédemption.
Encore plus fort : le programme de Marcia, toujours sur la Band. Marcia est une maîtresse femme qui soumet les maris infidèles au détecteur de mensonge, selon un scénario immuable : l'épouse éplorée fait part de ses doutes, le mari volage fanfaronne, Marcia le brise d'un ton sec puis le soumet à l'épreuve. Les questions défilent, et finalement Marcia récapitule et fait une longue pause pour déclarer : "à la question X... il a menti !" cependant que l'épouse se décompose. J'ignore s'il s'agit d'acteurs payés par la chaîne, Ce serait bien possible. Là encore on ne voit guère le pourquoi puisque Marcia en fin de compte explique à l'épouse que tous les hommes sont pareils et que ce n'est pas une raison pour les quitter. Quelques photos de l'écran brouillé - on devinera aisément qui est qui :
Superbe analyse de Globo!
Personnellement, en visionnant cette merde, je peux prévoir ce que nous aurons en France quatre à cinq ans plus tard sur nos lucarnes...
Ah... l'heure de la novela du soir dans les favelas de Belém... La quartier se fait exceptionnellement calme, les travessas sont désertées des adultes et de pas mal de gosses et on peut couper le son de son téléviseur: tous les voisins sont branchés sur la même émission.
A noter néanmoins une évolution: il arrive que des novelas mettent en scène des individus de couleur jouant un rôle positif. C'était inconcevable il y a peu de temps encore.
C'est quand même aussi Globo qui a permis la victoire de Collor sur Lula en truquant d'une manière techniquement parfaite le débat télévisé d'avant le second tour. La magistrale manipulation est toujours un sujet d'études dans des écoles de journalisme.
Rédigé par : Benjamin | mardi 01 avr 2008 à 12:18
C'est vrai que comme je boycotte TF1 et M6 et que je regarde très peu les autres, je ne vois pas le pire du PAF.
Mais on pourrait aussi évoquer la manière de "commenter" le futebol...
(pourtant le football européen n'a rien à envier en matière d'ignominie, euphémisme, par rapport au football latino-américain)
Rédigé par : Benjamin | mercredi 02 avr 2008 à 20:55
Quand je suis allée au Brésil, en 2004, j'ai pu avoir un aperçu de la Rede Globo et j'ai eu l'impression que tout tourne autour des mêmes vedettes (que l'on peut voir dans les télévisions portugaises, surtout la SIC, qui diffuse les feuilletons brésiliens).
Pourtant, comme je n'ai pas de télé chez moi (par libre choix), je ne subis pas les effets du pire du PAF.
Rédigé par : Carla Guerreiro | jeudi 10 avr 2008 à 10:22