J'aimerais contribuer au débat sur le CNRS. Malheureusement, je ne comprends rien aux objectifs de cette réforme. L'attitude de la droite à l'égard de la recherche est totalement illisible, c'est le moins qu'on puisse dire. Une bonne information se trouve dans le blog de ma consoeur, "Chroniques de la Mérantaise".
Dans les commentaires portant sur l'article du Monde d'aujourd'hui, outre les sempiternelles récriminations et plaisanteries sur les "chercheurs qui cherchent sans trouver", deux doctorants affirment qu'ils étaient les seuls à bosser dans leur labo, les chercheurs en poste passant leur temps à parler du week-end et des enfants.
Le lecteur doit comprendre que le CNRS, et le monde de la recherche en général, est à la fois fortement institutionnalisé et encadré (rapports, justificatifs, prévisions budgétaires) et individualisé. On ne cherche pas tout seul : on appartient à un labo, et le dynamisme de ce dernier dépend de ses membres, en particulier dirigeants, de leur capacité à organiser, mettre en place des lignes de recherches, ouvrir le labo à des coopérations internationales, favoriser les rencontres de haut niveau, etc. Cette capacité est acquise en plusieurs temps : on doit d'abord s'affirmer scientifiquement, c'est à dire être lu et reconnu. Ensuite, on crée des rapports personnels avec des confrères de France, de Navarre et de tous pays, par la grâce des colloques et autres congrès. Une fois cela acquis, on fait bénéficier l'ensemble du labo de ces connaissances à la fois scientifiques et personnelles, en particulier les doctorants que nous encadrons.
La recherche ne consiste pas, on le voit, à enfiler une blouse blanche et à compter les gouttes à l'aide d'une éprouvette. La part de la divulgation est essentielle, de la même manière qu'une entreprise ne vit pas en vase clos, mais en interaction avec ses concurrents d'un côté et les consommateurs de l'autre. S'occuper de l'organisation d'un congrès, de la publication d'un livre, sont partie intégrante de notre travail, et cela implique à la fois une dimension administrative, d'organisation pure, d'une dimension scientifique en termes de choix de contenus, et d'une dimension sociale, puisqu'il faut compter sur de multiples interlocuteurs. En fin de compte, c'est la publication ou la divulgation des résultats qui permet de valider une recherche, de faciliter l'accès des contacts aux doctorants.
A l'heure actuelle, le passage à la "culture de projet", où le CNRS, ou l'IRD, ou le Museum, fournissent les moyens humains tandis que l'Agence Nationale de la recherche fournit les financements, a peut-être favorisé le dynamisme des équipes (cela reste à prouver) mais a entraîné aussi une profonde déperdition d'énergie. Véronique Boyer et l'équipe qu'elle avait réunie ont passé deux mois à préparer un projet sur le thème "gouverner, administrer" proposé cette année par l'ANR. Deux mois de circulation du projet, de mise en commun des informations, avec finalement un constat d'échec étant donnée la trop grande diversité de l'équipe. Ceux qui n'avaient misé que sur ce projet se retrouvent donc, pour cette année, sans encadrement institutionnel - fort heureusement on a toujours plusieurs projets sous le coude. D'autres collègues se sont proposés sur 7 à 8 projets différents : quand les 7 ou 8 projets sont acceptés, l'année devient ingérable.
Le caractère aléatoire de l'ANR entraîne donc une dispersion et favorise un opportunisme scientifique qui est peut-être payant en termes de "dynamisme", mais qui impliquerait de renoncer à la patience de qui creuse son sillon.
Ajoutons à cela l'incertitude qui règne actuellement sur la recherche en France. A titre d'illustration, je relaterai une situation que j'ai vécue autrefois, quand j'étais coopérant à Lisbonne. L'ambassade de France au Portugal disposait d'un service culturel doublé d'un Institut franco-portugais, chacun disposant de ses propres attachés (culturel, linguistique, scientifique, ainsi que les représentants de l'Alliance Française. On nous informa que le système serait restructuré à la fin de l'année, et qu'à l'issue de cette année, l'un des attachés sauterait. Je vous laisse imaginer la déliquescence des rapports entraînée par cette annonce. Durant un an, il fut quasiment impossible d'organiser quoi que ce soit, tant la défiance, sciemment entretenue par l'Ambassade (l'ambassadeur était misanthrope), s'exprimait en rivalités, médisances, conflits.
Rien de tel pour justifier la restructuration du CNRS que de l'annoncer par voie de presse : en quelques mois, l'atmosphère devient irrespirable, les projets sont suspendus, et l'on peut alors dire qu'une telle réforme s'imposait tant l'institution semblait sclérosée ou crispée. Bravo, c'est de bonne guerre. Est-ce de bonne politique ?
merci pour le commentaire flatteur! Il y a encore beaucoup à dire sur la réforme du CNRS, en particulier en tentant de décrypter l'idéologie sous-jacente. Et pourtant, la vieille dame aurait bien besoin d'une réforme...
Rédigé par : Narayan | lundi 23 juin 2008 à 23:56