Mardi, 8 juillet. Réveil cafardeux après un cauchemar : je devais passer à autre dimension en me glissant dans un minuscule tuyau. Je passais aussi par une acupunctrice dans un centre spirite ou autre (ressemblait à cabinet d’esthéticienne). Les tarifs pour un descarrego (expulsion des démons) étaient de 150 euros, la femme, une japonaise (nous n’avons cessé de parler de japonais guérisseurs hier, cf entretien Anjelino) me pique des aiguilles le long du visage et dans les lèvres, puis je passe à la caisse et la patronne me réclame 15000 euros ! Je proteste, expliquant que je suis un pauvre fonctionnaire, et lui jette 150 euros.
Nous récupérons la voiture au garage : 75 reais, soit environ 30 euros, un tarif à fait pâlir d’envie tout automobiliste français.
Nous avons multiplié les visites : d’abord Joao dos Reis Ferreira, 50 ans, mineiro (Vale do Jequitinhonha, puis Parana comme conducteur tractoriste, puis 1984 vient Rondonia (onze frères, trop de bouches à nourrir) vient avec son père qui achète 10 alqueires loin de la ville et 4 alqueires à proximité (alqueire = 2,5 ha).
Il a été le dernier directeur de l’association de prod. Alternativos, a une superbe maison dont il dit qu’elle appartient à sa femme. Il a dû assumer tous les procès résultant de la faillite de l’APA. Jusque là il avait accompagné l’APA mais plutô comme consultant technique (explique que pouvait déterminer état d’une propriété en regardant comment étaient organisés les 100 mètres autour de la maison. Il observe que jusqu’en 1997, les membres de l’APA étaient considérés comme des fous, mais que la perception a changé.
Nous fait goûter la liqueur d’açai, délicieuse. Sa femme est blanche, peu jolie, il est séparé depuis deux ans de son ex qui vit au sitio, où il se rend de temps en temps pour s’occuper des abeilles.
Puis Manoel Mariano, de la Pastorale de la santé, dans la Paroisse.
Il décrit l’arrivée des pau de arara (ces camions aux remorques de bois peintes) chargés de migrants, que l’on déposait au début d’une ligne puis on leur disait « votre lot se trouve à tant de temps de marche ».
Puis Antonio Abilio (Mineiro) accompagné de Jaco, à une cinquantaine de kilomètres dont 40 sur mauvaise route. Ancien membre du Mouvement des Sans Terre, implantation grâce à invasion fazenda. En Rondonia depuis 1982, a obtenu son lot en 1998, fut le dernier à l’obtenir (c’est ce qu’il voulait, il aimait la lutte contre fazendeiro. Il est venu suivant son beau-père, sans terre également mais dont le fils en avait une. Bizarrement n’a pas vécu chez son beau-frère mais dans la propriété d’un ami ( ? vérifier le type d’amitié, si syndicat ou église) à qui il donnait 20% de sa production (les meieiros donnent 50%) Le reste du temps, il participait à l’occupation de cette fazenda de 21500 ha, lutte commencée en 1984.
« Tout migrant avait cette culture de déboisement, de brûlis et de planter dans la cendre. Mais nos grands parents, nos arrière-grands-parents, savaient conserver la terre plus longtemps ». Le syndicat a été créé dans cette perspective de conserver la qualité du sol. On a créé le secteur de production au sein du syndicat, qui est devenu l’Association des Producteurs alternatifs.
En 1985, ils ont été invités au congrès du MST à Curitiba, c’est là qu’ils ont créé le MST Rondonia. Il a été membre de l’APA avant de recevoir son lot : il a commencé avec trois ruches. Il décrit la dynamique du MST : quand les enfants grandissent, on va plus loin envahir d’autres terres (il s’esclaffe dès qu’il parle de ça, pareil quand il évoque le conflit, comme s’ils avaient joué bon tour au fazendeiro. Il dit que la banque du Brésil n’accorde de Crédit qu’aux éleveurs de bœuf, sur leur bonne mine, indépendamment de l’existence d’une réserve légale de forêt (50% sur terres agricoles), alors que crédit aux petits agriculteurs est conditionné par cela.
Il croit (et tout le monde croit comme lui) que les compensations environnementales existent déjà.
Il nous fait visiter sa terre, 25 ha, quadrilatère de 50 mètres sur deux km profondeur et largeur de qq centaines de mètres à l’arrière. Elève porc, poule, vache, buffle, a 3ha de SAF avec pupunha, cupuaçu, teck, cedro ( ?), et il laisse aussi reprendre végétation originale. Dans le pâturage, en revanche, il coupe les jeunes repousses d’arbres et ne laisse que les palmiers. Il doit avoir une dizaine de buffles. A le voir caresser le cul de son taureau, je retrouve en lui certains traits des vieux paysans vendéens, qui transparaissent aussi dans sa démarche un peu chaloupée:
Sa maison est assez grande (probablement 9x7m, taille du crédit habitation géré par Mouvement des Petits Agriculteurs). Nous fait boire eau de coco, il est souriant et assez drôle, plaisante avec Jaco qui lui va prélevant toutes les orchidées qu’il rencontre, en laissant toutefois une partie sur l’arbre.
Nous le quittons quand le soir tombe, beau coucher de soleil. Un méchant camion m'interdit de le doubler. Quand je lui colle à l'arrière-train, la poussière qu'il dégage m'empêche même de le distinguer. Bien sûr, Monsieur n'allume pas ses phares ! Sueurs froides, je le double enfin - un accident aurait porté un rude coup à l'équipe en l'annihilant.
Tout va bien ici. Moyennement satisfait en revanche de la patronne de l’hôtel, une santacatarinense qui veut m’interdire de fumer dans ma chambre !
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