Le livre du physiologiste Derek Denton L'émergence de la conscience - de l'animal à l'homme (1993) publié chez Flammarion en 1995, est à hurler de rire. Il présente sur le même plan la théorie du dessein intelligent et les schémas dépassés de l'évolution des hominidés. Il est truffé de "supérieur" "inférieur", de sauvages et de primitifs, de "remontée de l'arbre de l'évolution" et autres schèmes d'une science surannée. Quel besoin a-t-il éprouvé de publier un tel livre ?
Quelques perles : les loups qui partent en chasse "semblent le faire avec l'intention de chasser, même s'il faut se garder d'interpréter hâtivement" - je cite de mémoire.
Les hominidés ayant maîtrisé le feu "se sont affranchi du cycle tropical d'alternance jour nuit" et cela leur a permis de coloniser l'Europe - ce qui revient à s'interroger sur la manière dont Colomb et son équipage ont surmonté le décalage horaire en arrivant en Amérique.
C'est drôle, et inquiétant toutefois. On se rend compte que la parole de scientifiques émane en réalité de gens parfaitement incultes et totalement inconscients de l'absurdité de ce qu'ils produisent. Le livre de Dawkins sur Dieu était de la même teneur : un scientifique publie un ouvrage de vulgarisation qui touche à des domaines qui ne relèvent pas de sa spécialité. La caution de ses travaux antérieurs lui permet de franchir les obstacles que tout comité de lecture aurait élevé. C'est ainsi que Claude Allègre peut disserter à loisir sur la climatologie en se prévalant d'une parole autorisée qui émane de ses travaux en physique.
Je félicite les éditeurs qui entretiennent sciemment la confusion. Et je note que cela est généralement à sens unique. Quel dommage qu'on n'ait pas demandé à Todorov un ouvrage sur l'énigme de l'univers ! Je connais plusieurs collègues qui sont très forts en théâtre du XVIe siècle : je suggère un vaste plan éditorial leur laissant l'opportunité d'exprimer leur avis sur la physique des particules.
Le résultat, pour ce qui est de Denton, est que le lecteur non-averti, croyant avoir affaire à ce qui se fait de mieux dans le domaine, est en train de lire, sans le savoir, un livre de Gobineau.
PS : je ne résiste pas au plaisir de citer certaines expériences mengeléennes que l'auteur relate avec la plus grande candeur :
- des chimpanzés sont enfermés, depuis leur naissance, dans des cages qui ne leur donnent pas d'accès visuel à celles de leurs congénères enfermés à côté d'eux. Ils ont grandi seul et le résultat de l'expérience est qu'ils n'ont pas développé de rapports sociaux ni de compétences cognitives équivalentes à ceux de chimpanzés capturés à l'état sauvage.
- des tests concernant la privation de sommeil sont menées sur des chats (l'auteur de l'expérience est le neurophysiologiste Michel Jouvet, qui préface l'édition française du livre). Les chats sont placés sur des îlets de sorte que tout abandon au sommeil les fait tomber à l'eau. Après plusieurs jours de ce régime, les chats présentent des comportements psychotiques et meurent.
- expérience menée sur des rats (rapportée également par Singer dans la Libération animale) : on place deux séries de rats, les uns de laboratoire, les autres capturés dans les égouts, dans des récipients remplis d'eau dont ils ne peuvent sortir. Les rats de laboratoire sont capables de nager et de se maintenir à la surface durant 24 à 48h. Les rats sauvages se laissent couler après quelques minutes, une fois qu'ils ont constaté qu'il n'y a pas d'issue. Si l'on sort un rat sauvage de l'eau avant qu'il ne se noie, et qu'on le replonge ensuite dans le liquide, il agit comme les rats de laboratoire, nageant 24 à 48h d'affilée. Singer observe avec justesse que ce type d'expérience en dit davantage sur ceux qui les pratiquent que sur les cobayes sacrifiés.
Ces trois expériences ont ceci en commun qu'on pouvait préjuger du résultat bien avant qu'elles ne soient menées. Il suffit de postuler que les animaux que l'on met à l'épreuve sont des êtres conscients, pour n'avoir pas besoin d'inventer des tortures visant à le démontrer. Que peut-on dire de la troisième ? En plus des résultats obtenus, on peut suggérer la chose suivante : les rats de laboratoire connaissent si bien leurs expérimentateurs qu'ils abordent chaque expérience avec l'esprit du prisonnier soumis quotidiennement à la torture. Ils savent qu'ils doivent tenir, que c'est le but du jeu, ils espèrent probablement un jour en finir mais d'ici là ils se plient aux règles qu'on leur impose.
L'esprit scientifique peut aller très loin, et ils me semblent que ces hommes que l'on condamne comme de vulgaires pédophiles parce qu'ils ont séquestré des enfants dans leurs caves pourraient se prévaloir des grandes avancées qu'ils ont permis dans le domaine de la pédopsychiatrie. Ah bon ? Ce n'est pas le cas ? On les a mis en prison ??
Rédigé par : |