Je me dis qu'à bientôt quarante ans, il serait temps de songer à avoir des enfants. Je suis allé consulter mon frère à ce sujet : il en a deux, et en est très content.
Il ne cherche pas à me dissimuler les difficultés du dressage et de l'acclimatation. En période d'hiver, ses fils sont de véritables bombes chimiques, débordant de virus. Il soupçonne les instituteurs d'être des porteurs sains, véhiculant des souches nouvelles à chaque rencontre parents/professeurs.
Nous parlons puériculture pendant des heures, les méthodes, les écoles de pensée, l'enfant comme personne ou comme organisme sensori-moteur. Nous sommes tous deux favorables à l'allaitement, d'autant que ce n'est pas à nous de le dispenser. Pour ce qui est de se lever la nuit, "je me lève si je veux", argue-t-il.
J'expose la diversité des usages qu'observe un ethnologue de par le vaste monde. Mon frère est quant à lui adepte du pistolet à clous. Il n'aime pas se répéter, non plus que se lever de son fauteuil s'il est en train de lire ou de méditer. Avec une portée de trois mètres, un pistolet à clous est un bon auxiliaire pour l'éducation à distance.
Je lui soumets mon idée de plancher électrifié, destiné à accélérer les premiers pas. Des expériences menées sur des chiens se sont révélées très concluantes, mais il me semble que le voltage était un peu exagéré. Mon frère approuve l'idée, mais rechigne devant les frais d'installation, surtout que l'enfant n'apprend à marcher qu'une fois.
Nous parlons des accidents domestiques : comment les éviter ? D'après mon frère, ce n'est pas à l'adulte de prévenir, mais à l'enfant de se faire sa propre idée. La psychologie cognitive nous enseigne que l'enfant crée des catégories avant même de savoir parler. Mon frère prend l'exemple de la prodigieuse variété des produits d'entretien ; on peut, c'est une option, condamner le placard où ils sont rangés. Mais ce faisant, on attise la curiosité du bambin ; mieux vaut, donc, le laisser absorber une dose de produit vaisselle (à l'innocuité prouvée grâce à des tests sur des lapins) que l'enfant recrachera, pour forger sa propre catégorie "produits à ne pas consommer".
Idem pour le doigt dans les prises : "laissez faire la sélection naturelle". Il me rappelle que moi-même, à mon plus jeune âge, je me suis électrocuté plusieurs fois, qu'on m'a retrouvé les mains noires et ce jusqu'aux avant-bras, mais que je suis encore tout vif. Sans doute un gène résistant aux décharges a-t-il été sélectionné parmi nos ascendants.
Nous nous accrochons sur la question du doudou, sa valeur éducative, ses différents usages. Le doudounapping pratiqué par les parents offre deux avantages : l'enfant est amené à faire ce qu'on lui demande ("tu reverras ton doudou si tu ranges ta chambre") et on peut stimuler l'apprentissage de la lecture si l'on a soin de rédiger la demande en découpant des lettres dans un journal ("SI tU vEux reVOIR ton DoUdOulaPiN..."). Mon frère objecte que la disparition d'un doudoulapin peut avoir de graves conséquences psychologiques (j'ignorais qu'il en eût aimé un), qui ne compensent pas les menus bénéfices que l'on peut en tirer.
Nous sommes d'accord, en revanche, sur la question du travail infantile : "ça ne leur ferait pas de mal s'ils fabriquaient eux-mêmes les tennis qu'ils nous demandent d'acheter". De grandes entreprises comme Nike ou Reebok pourraient signer des conventions de stage avec les parents peu fortunés. Idem pour les stations orbitales en plastiques - qui sont d'ailleurs fabriquées par de petits enfants malais. On n'a pas si souvent l'occasion de visiter l'Asie du Sud-Est ; rien de tel qu'un stage à l'étranger.
Le problème de l'entrée dans l'adolescence est évoqué. Mon frère se rembrunit lorsqu'il songe à l'avenir. Je sens que nous touchons là un point délicat. Il m'avoue y avoir beaucoup réfléchi, et s'est rendu compte que la solution tendait les bras : laisser son fils intégrer des gangs. Il y apprendra les valeurs du groupe, se munira d'un utile code de l'honneur, meublera ses longues soirées à arpenter les Halles avec ses camarades, loin de la télévision.
Nous abordons enfin la question des mauvais traitements infligés à l'enfant. Mon frère est résolument contre - "à moins, nuance-t-il, de vivre en zone pavillonnaire, ou en maison isolée". Au sujet d'une récente affaire qui fit grand bruit, il me livre le fond de sa pensée : "Outreau, martèle-t-il, c'est d'abord la faillite d'un système". Quand je lui demande de préciser, il me dit en être incapable, mais que la formule lui semble convenir à toutes sortes de situations.
En conclusion, j'observe entre mon frère et moi une solide convergence de vues.
Ici un lien vers l'ancien blog de Martin Vidberg, une planche qui m'a bien fait rire et me semble marqué du même esprit pédagogique.
Une solution que nous avions fortement envisagé, consiste à mettre son enfant en nourrice disons de 2 mois à 2 ans, en profiter de 2 à 6, puis l'envoyer dans un pensionnat anglais ou écossais jusqu'à ses 18 ans. L"avantage de la méthode, est que l'on profite des vrais bons moments puisqu'ils sont avec leurs géniteurs alors qu'ils sont propres, font leurs nuits, et savent parler. Cela dit, se pourrir la vie pendant 9 mois et devoir accoucher me semblait un prix lourd à payer pour 4 ans de vie commune. Nous avons finalement opté pour la méthode plus classique d'élevage, qui certes présente de nombreux désagréments, mais également des avantages notables (avant la crise d'adolescence s'entend).
Rédigé par : Narayan | samedi 27 sep 2008 à 00:39
Eh bien, il a l'air de drôlement t'occuper, ton congrès barcelonais !
Rédigé par : anthropopotame | samedi 27 sep 2008 à 00:51