2) Qu'est-ce qu'un département ?
Les départements, qui prennent parfois la forme d'Instituts ou de Centres, sont constitués de l'ensemble des enseignants d'une même discipline ou apparentée. On parle donc de "département d'histoire", "département de grec et latin", "Institut d'Etudes Hispaniques", "Centre de la Renaissance", etc. Ces départements sont dirigés par un directeur élu ou désigné, selon des procédures propres à chacun, puis sont coordonnés par le biais de réunions régulières où se répartissent les tâches (qui prend quel groupe, qui sera présent aux "journées portes ouvertes", qui sera candidat au conseil d'UFR - Unité de Formation et Recherche, qui regroupe l'ensemble des départements d'une même branche de savoir, par exemple "Lettres"; "Sciences Humaines", etc.. Les UFR sont dirigées par un doyen, élu par le conseil d'UFR).
Ce sont les membres des départements qui élaborent les maquettes en fonction des contraintes ministérielles qui déterminent des "troncs communs", des pourcentages de matières optionnelles, le nombre maximum d'heures/année. Ils sont libres en revanche du contenu de leur cours, dès lors qu'ils respectent les intitulés ("Textes fondateurs de l'anthropologie" est un intitulé qui voue l'enseignant à expliquer les textes fondateurs de l'anthropologie, mais il est libre du choix des textes). En master, en revanche, l'enseignant choisit librement le contenu et l'intitulé de ses séminaires dans un cadre imparti.
Le département possède un financement propre, au prorata de ses membres, financement destiné à couvrir les frais de téléphone, d'affranchissement, de photocopie, et de renouvellement du matériel. Il est adossé à un groupe de recherche qui lui donne sa légitimité scientifique. Dans les universités de province, les membres d'un département sont d'office rattachés au groupe de recherche qui en émane, et est donc voué à respecter la diversité des profils. Admettons un département de socio comptant des spécialistes de sociologie urbaine, d'ethnographie des banlieues, de chamanisme sibérien, de structures de la parenté en Afrique australe, et un amazoniste, ils devront s'entendre pour bâtir un projet de recherche quadriannuel cohérent qui justifie les fonds qui lui sont alloués. D'où les intitulés flous à dessein, généralement constitués de termes vagues, exposés sans problématique (la problématique surgira plus tard, si dieu le veut).
Certains enseignants jouent le jeu, d'autres non. Ils vont alors chercher ailleurs des financements pour leurs recherches propres.
Quel est l'enjeu de ces recherches ? Il se trouve que le doctorat ne constitue qu'une étape dans un parcours, même si les doctorants se voient souvent en Sisyphe enfin victorieux. Mais les problématiques se renouvellent à mesure que se poursuit la réflexion sur un sujet, les méthodes aussi, et les concepts de base d'une discipline, renouvellement qui oblige à repenser en permanence le savoir que l'on croit maîtriser mais qui ne vaut que par son actualisation. Une théorie économique ébranlée par la réalité entraîne une remise en cause de tous les paradigmes ayant orienté la discipline jusque là, et ce depuis dix, vingt ou trente ans. Le surgissement de groupes ethniques reconnus comme tels dans la problématique de l'organisation sociale constitue, quant à lui, un fait nouveau, qui permet une réflexion prospective et comparative entre, disons, la Corse et le Parc Indigène du Xingu au Brésil.
Ces réflexions sont confortées par des échanges entre spécialistes de même discipline (selon la procédure de validation décrite en janvier dans ce blog : exposé préalable en séminaire, communication en congrès, publication dans revue à comité de lecture), par des confrontations parfois fructueuses entre spécialistes de disciplines différentes, permettant de tester les concepts, d'obtenir des éclaircissements, de mettre en place des coopérations.
Ces acquis sont destinés à alimenter les cours que dispense l'enseignant-chercheur. Ils garantissent aux étudiants l'accès à un savoir actualisé et la possibilité d'être inclus dans des programmes d'échange et de coopération qui seront utiles à leur formation scientifique. Tous les enseignants ne procèdent pas de la même manière et jamais ne se fera l'unanimité parmi ses étudiants. On peut être hyper pédagogue ou au contraire hyper allusif. Généralement ceux qui optent pour la pédagogie se délectent à élaborer des brochures distribuées à leurs élèves en début d'année, aspirent en permanence à inculquer les bases du savoir, ne goûtent pas les collègues qui passent leur vie dans des colloques, ceux qui considèrent que l'objectif numéro un est de former une relève de chercheurs. Entre les deux extrêmes on trouve de tout.
3) Qu'est-ce qu'un étudiant ?
Un étudiant est un individu qui s'inscrit de droit à l'université dès lors qu'il a le diplôme du baccalauréat. L'université, disent les textes, est également ouverte à quiconque a "la volonté et les capacités" de suivre les cours.
Voici donc les questions rédigées sous ma dictée par une étudiante de 2e année de Licence :
Pour que le lecteur comprenne ce qui s'est produit, il faut savoir que l'étudiante m'avait remis son travail (il s'agissait de répondre aux questions portant sur un fait-divers relaté par un journal portugais) mais que je le lui ai rendu en lui demandant de corriger d'elle-même les fautes de français. "Peut-être ai-je dicté cela trop vite et que vous n'avez pas eu le temps de vous relire ?"
Au départ, nous avions typique écrit "tïpique", "se sont-ils marié avant ou aprés être arrivé".
L'étudiante a donc corrigé tïpique en tÿpique, ajouté des "s" d'accord avec l'auxiliaire être, mais a en revanche ajouté un "m" à émigrant (pardon, èmigrant).
Si le lecteur ne voit pas où se situe le problème, c'est que le problème est plus grave que je ne le pensais.
En effet, si la sélection à l'entrée à l'université est rejetée au motif que le baccalauréat serait déjà sélectif, je pose la question : à quel moment, exactement, cette étudiante s'est-elle vue confrontée à une sélection ? Ni au lycée, ni, manifestement, en première année d'université, puisqu'elle se trouve avec moi en 2e année.
A partir de quel moment, donc, est-il envisageable d'aborder avec les étudiants des questions telles que l'ethnicisation des rapports sociaux, ou des inférences mises en oeuvre dans les systèmes stéréotypés d'identification ? Lisant les lignes affichées ci-dessus, le lecteur songera "Mon Dieu, oui, faites s'il vous plaît de la lutte contre l'échec votre priorité!" Et l'on voit donc s'afficher le résultat de la lutte contre l'échec menée en première année d'université : la conclusion est qu'il serait urgent également de lutter contre l'échec en deuxième année, et vraisemblablement en troisième. Avec combien de "m" cette étudiante écrira-t-elle "émigrant" une fois parvenue en master, ou une fois en poche son concours d'enseignement ?
Demandera-t-on à l'étudiant de prendre en main lui-même la lutte contre son propre échec ? Pour cela, il faudrait résoudre le paradoxe suivant : cette étudiante souffre précisément de n'avoir pas été confrontée à l'échec. Elle a eu son bac, elle a passé la première année d'université, pourquoi s'arrêterait-elle en si bon chemin ?
L'étudiante que je cite n'a rien d'une exception, je la cite précisément parce qu'elle est exemplaire de ce que signifie la non-sélection à l'entrée de l'université. Quel profit en tirera-t-elle ? A quoi la pédagogie a-t-elle servi ? Qu'ont-ils donc évalué, mes collègues du secondaire, membres du jury de baccalauréat ? A quelle hauteur ont-ils placé la barre de sélection, à la hauteur de 85% d'une promotion ou à celle d'une maîtrise des accords du verbe ?
Nous pourrions aborder le problème plus vaste d'une société qui produit, par l'abandon de son système éducatif, de l'incompétence, et je renvoie le lecteur à une note de l'Enervé de service qui fait froid dans le dos : un étudiant de master chargé de calculer la pente nécessaire à l'écoulement des eaux pluviales dans le cadre d'une expertise commandée par une entreprise pour répondre à l'obligation inscrite dans la loi sur la prévention des risques, rend une expertise où les calculs sont faux, où on le sait, et où cela ne choque personne. Vous appellerez un plombier et il ne réparera pas la fuite ; le médecin ne saura pas vous guérir ; l'avocat ne saura pas vous défendre ; les experts n'auront rien su prévenir ; les comptables ne sauront pas compter, etc. Est-ce là ce que nous voulons ? Nous fier à la minorité de ceux qui seront passés par les grandes écoles, car ceux-là seuls auront un jour été confrontés à leurs limites, et appelés à les dépasser ?
Evidemment, il devient un peu absurde, voire franchement décalé, d'affirmer comme je l'ai fait que les recherches menées ont vocation à alimenter nos enseignements. Cette conclusion amène l'ultime scission de cette note, qui portera bel et bien sur le statut des maîtres de conférence, et sa réforme.
Tout ça est vraiment intéressant, d'autant plus que je ne connais rien aux termes français pour décrire tout ce beau monde, ces niveaux, ces unités... Quelle est la différence entre un UFR et une faculté? Ne dit-on pas "faculté des sciences" par exemple? En Amérique du Nord, les choses sont un peu différentes mais finalement moins que je le pensais, surtout en ce qui concerne le niveau des étudiants ;)
Rédigé par : Dr. CaSo | mercredi 15 oct 2008 à 14:25
Ah ouiche, c'est subtil. C'est ce qui fait la grandeur de notre métier. Les UFR sont les anciennes facultés, qui sont aujourd'hui redevenues facultés. Donc on dit bien "faculté de Lettres" même si on persiste à dire "conseil d'UFR".
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 15 oct 2008 à 14:41
Même moi je suis perdue... parce que sur les rives de la Mérantaise, nous avons une faculté des Sciences qui -me semble-t'il, regroupe plusieurs UFR à moins qu'il ne s'agisse de Départements? De toutes façons, changer les noms ne résout rien, chaque réforme ajoutant un peu plus d'opacité au système (une minute de silence émue pour les dinosaures qui parlent encore d'UER, de DEUG et de DEA...)
Rédigé par : Narayan | jeudi 16 oct 2008 à 09:03
Je ne sais pas, Narayan. Peut-être que tu travailles dans une université gigantesque, ayant exigé des subdivisions ?
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 16 oct 2008 à 09:14
Merci merci sur les explications sur le département. Je dois avouer que, tout comme Narayan et DrCaso, la structure administrative de la chose me laisse perplexe.
Rédigé par : mouton | jeudi 16 oct 2008 à 11:55
Université gigantesque oui! Je suis allée sur le site officiel, voir ce qu'il en est (je copie-colle):
5 Unités de Formations et de Recherche (UFR) encore parfois appelées «facultés»
3 Instituts Universitaires de Technologie (IUT)
1 Ecole d’Ingénieurs
L'UFR/faculté dont je dépends, comprend 9 départements (couvrant les disciplines enseignées et/ou de recherche).
Chaque département regroupe ensuite plusieurs unités de recherche.
Simple non?
Rédigé par : Narayan | jeudi 16 oct 2008 à 15:02