Il reste quelques petits éléments à soulever avant de réfléchir à cette fameuse réforme.
J'ai pointé quelques obstacles à la revalorisation des métiers de l'enseignement supérieur. Les principaux sont : basse auto-estime, inégalité structurelle et conjoncturelle entre universités, absence de sélection à l'entrée. Ajoutons que les salaires ne sont pas vraiment attractifs : Un maître de conférences gagne 1800 euros nets en début de carrière, environ 3000 en fin de carrière, et un prof débute autour de 2800 et finit à 3600, toujours en salaire net. Rappelons qu'un prof est titulaire d'une HDR et qu'on attend généralement d'avoir 40 ans pour la passer (c'est d'ailleurs pourquoi je suis au point mort, je n'aurai quarante ans que dans deux mois). Rapportée à l'immobilier parisien, cette échelle signifie qu'un maître de conférences peut aspirer à vivre dans un grand studio ou un petit deux-pièces, et un prof dans un grand deux-pièces ou un petit trois-pièces. Comme je fais partie de ces enseignants qui vivent à Paris et travaillent en province, je dois me contenter d'un petit studio. Cela dit, si on contemple la situation de la majeure partie de la population, on ne trouve pas trop motif à se plaindre, même si nos collègues brésiliens se démettent la mâchoire quand ils apprennent le pouvoir d'achat réel que nous donnent nos salaires, à leurs yeux mirifiques. Ceci répond je crois à la question "Mais pourquoi portent-ils des pulls troués ?"
La réforme du statut des Maîtres de conférence se propose de répondre à certains manques évoqués ci-dessus. Salaires revalorisés en début de carrière, possibilité de se consacrer davantage à la recherche sur projet, avec décharge d'enseignements (64h au lieu de 192h). Cela permettrait à ceux qui sont réellement motivés par la recherche à s'engager résolument dans cette voie.
Examinons d'abord comment on y parvient dans le système actuel :
On peut, lorsqu'il y a suffisamment de souplesse dans les maquettes (ce qui est rare), demander à concentrer ses enseignements sur un semestre. On peut alors accepter les invitations à donner des cours dans d'autres universités, ou effectuer des terrains de longue durée, ou se consacrer à l'écriture d'un livre (nous sommes supposés publier un ouvrage tous les quatre ans, ou deux articles dans des revues à comité de lecture annuellement).
On peut consacrer ses vacances aux terrains et aux recherches en archive, si l'on n'a pas de famille, bien sûr. On doit alors fractionner les terrains et la plupart ne sont pas financés (ce que j'ai fait pendant les cinq ans où je me suis consacré aux Pataxo : 11 voyages au Brésil, tous de ma poche. Je n'ai tenu financièrement que parce que Chiara m'hébergeait).
On peut demander une délégation ou un détachement auprès du CNRS ou d'un autre organisme de recherche (INRA, Muséum, IRD...), pour un an renouvelable, le CNRS prenant alors en charge un tiers du salaire du délégué, et la totalité de celui du détaché. On est alors déchargé des enseignements et l'on doit respecter un calendrier préétabli dans le projet de recherche que l'on a remis. Noter que tant détachement que délégation sont fortement sélectifs, et que la probabilité de l'obtenir est relativement faible.
On peut enfin demander, après six ans de service continu, un semestre sabbatique, décharge complète d'enseignement et liberté totale pour ce qui est de l'emploi du temps (sauf qu'on ne vous l'accorde que si vous avez un projet bien ficelé).
Le projet ministériel consiste donc à entériner le fait que certains maîtres de conférences souhaitent se consacrer à la recherche et leur propose de stabiliser leur situation durant cinq années renouvelables au sein même de leur établissement.
Le lecteur attentif a dû relever, de-ci de-là, quelques verrous psychologiques à lever avant qu'une telle solution puisse s'imposer. La recherche apparaît à certains comme un Graal qui les délivrerait de la médiocrité du quotidien d'un enseignant. Brouilles passagères ou tenaces, dépits qui s'affirment par des votes contraires en réunion, système démocratique en vase clos qui fait que l'on peut sans problème imposer à quelqu'un des enseignements qui ne lui correspondent nullement, un moyen efficace dont dispose une majorité pour souligner l'inanité de toute recherche. Le maître de conférences qui se prétend chercheur doit donc développer une double personnalité d'enseignant ET de chercheur, les deux offices ne se recouvrant pas. On a connu hélas des cas où tant la jalousie que le dédoublement de personnalité sont allés fort loin (le lecteur se souviendra peut-être de l'affaire ci-dessous, qui remonte je crois à 1994):
Bref, j'imagine aisément la vie que l'on ferait à un jeune maître de conférences, fraîchement émoulu du doctorat, s'il réclamait pour lui-même une décharge d'enseignement et un financement propre. Tête des collègues en réunion. Tête des professeurs qui verraient leurs conditions d'exercice rabaissée d'un cran face au privilège ahurissant advenu à Machin. Nul doute, si l'on en croit ma rapide enquête auprès de ceux qui ont bénéficié d'une délégation ou d'un détachement, que l'on s'efforcerait de leur attribuer les enseignements les plus abrutissants sur cette Terre : méthode de travail en bibliothèque, technique du commentaire composé, grammaire, langue, etc. Le paradoxe est que nombre de collègues proclament le caractère noble de ces enseignements de seconde zone ; c'est pourquoi ils s'empressent de les octroyer à ceux qui manifestement ne pensent pas du tout cela, et préfèreraient entraîner les étudiants à s'inscrire dans des programmes de recherche.
Voilà donc l'obstacle majeur. Il peut sembler minime, il ne l'est pas. Tout se joue, à l'université, selon le poids respectif de chacune des parties engagées dans la négociation. Le système proposé par notre ministre est l'idéal platonicien du chercheur français : une reconnaissance sociale, un salaire décent, un intérêt porté à ses recherches, de bonnes conditions pour l'exercer, la possibilité de les divulguer auprès d'un public étudiant. Mais en déterminant que certains en bénéficieront et d'autres non, on pressent aisément les multiples blocages et mesquineries qui s'élèveront (et j'y participerai). De plus, en perpétuant le modèle non sélectif à l'entrée de l'université, on peut sans crainte affirmer que les cours de 1er cycle (réservés aux maîtres de conférence) seront d'abord des cours de rattrapage et de mise à niveau, donc certainement pas le lieu où s'exposent le résultat de recherches récentes.
Je jure sur ma vie et mon honneur que j'aborderai in extenso la question de la sélection à l'entrée de l'université, et pourquoi j'y suis favorable aujourd'hui après avoir été contre. Mais concernant la réforme du statut des maîtres de conférence, j'en ai assez dit ! Tout commentaire et toute demande d'éclaircissement seront bienvenus.
Je suis également pour la sélection à l'entrée de l'université. Nous sommes parvenus à créer un système absurde affiché 'ouvert à tous' qui se solde par la pire des sélections, celle par l'échec.
La grande mode en sciences, consiste à créer des UE sur sélection réservées à un petit nombre d'étudiants motivés et présentant de bons résultats. Ceux qui ne les ont pas suivi n'ont AUCUNE chance de trouver des labos d'accueil pour effectuer un stage.
Rédigé par : Narayan | jeudi 16 oct 2008 à 15:10
important (je l'ai zappé), j'ai longtemps été contre la sélection à l'entrée de l'université. Ce qui m'a fait changer d'avis? Enseigner!!
Rédigé par : Narayan | jeudi 16 oct 2008 à 15:11
Narayan, tu parles de "pire sélection, celle par l'échec". Le problème est précisément que les étudiants ne connaissent l'échec ni au bac ni à l'université. Donc peuvent obtenir leur licence tant l'étudiant qui a acquis de réelles compétences que celui qui a surfé sur les compensations. Le résultat est que les diplômes que nous délivrons ne valent pas grand-chose, et ce n'est que justice.
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 16 oct 2008 à 18:30
Pas d'accord à 100% avec toi. Il y a bel et bien sélection par l'échec quand un étudiant met 3 ans à décrocher son M1 et arrivé en M2 ne trouve pas de stage de recherche (aucun labo ne veut perdre du temps avec une cause perdue). Parce que mettre au moins 4 ans pour décrocher un master, c'est un constat d'échec; c'est obtenir un diplôme qui ne servira à rien car je doute qu'un employeur recrute une personne avec un tel CV.
Oui, tu as raison, et j'espère que cela changera, les diplômes universitaires ne signifient plus grand'chose. La compensation est la pire des inventions. Tant que les facs feront de la gestion de flux plutôt que de la formation la situation ne s'améliorera pas.
Rédigé par : Narayan | jeudi 16 oct 2008 à 19:04
Oui, c'est un constat d'échec. Ca arrive, dans la vie. Ce qui est dramatique c'est qu'il faille trois ans pour s'en rendre compte. L'échec en soi n'a rien de dramatique, il tend à indiquer qu'on ne se trouve pas sur la bonne voie, c'est tout. Encore faut-il que quelqu'un vous l'indique, si vous n'avez pas la lucidité nécessaire à le comprendre...
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 16 oct 2008 à 19:11
En tous cas, Narayan, si tu as des éléments pour alimenter ma future note sur les conséquences de la non-sélection, je suis preneur.:)
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 16 oct 2008 à 19:15
ben déjà que j'ai pas le temps d'écrire chez moi....
m'enfin, je vais réfléchir.
Rédigé par : Narayan | jeudi 16 oct 2008 à 22:57