J'ai bien ri hier à lire quelques articles sur la sixième extinction et l'effondrement de la biodiversité, vues par des sociologues ou des ethnologues : la biodiversité est une "construction sociale" - elle ne se constitue en problème que dans les cercles académiques - à preuve : elle souffre d'un sérieux problème de définition.
Je me tourne donc vers ces collègues et leur demande : et la destruction de la nature, est-ce une "construction sociale" également ? Parlerez-vous plutôt de "destruction sociale de la nature"?
Les ethnobotanistes sont plus roués : ils affirment bien que la nature est une construction sociale, mais que la diversité culturelle est productrice de biodiversité (par la multiplication des variétés, races domestiques ou cultivars), et poussent donc les hauts cris et parlent de "tragédie" si cette biodiversité-là devait s'amenuiser.
Donc, je spécifie mon appel à participation :
Toute proposition tendant à se focaliser sur les problèmes de définition et de conceptualisation seront écartés. Toute proposition incluant l'expression "construction sociale" sera refusée.
Voici le point de départ que nous nous sommes posés :
La 6e extinction est une donnée du réel.
Les remèdes visant à ralentir la cadence sont connus :
- Pour les écosystèmes terrestres, préserver 20% de ce qui est en voie d’anthropisation et relier les zones protégées par des corridors afin de maintenir la diversité génétique ;
- Pour les écosystèmes marins, passer de 2% à 30% de zones protégées et pour les autres, interdire toute pêche non sélective. On pourra également s’inspirer de l’article programmatique d’Ehrlich et Pringle dans PNAS 12/08/08
(Notons que ces remèdes sont ceux qui s'appliquent plus spécifiquement à la biodiversité, et sont complémentaires de la lutte contre le réchauffement climatique et la dépollution de notre environnement).
Ce qui n’est pas connu, c’est la modalité d’application de ces remèdes non seulement au niveau local (démocratie participative, réflexe NIMBY), mais aussi au niveau international (querelles de souveraineté, d’extension territoriale en zone marine, biopiraterie, etc). Sachant que les populations humaines seront toujours, in fine, considérées comme prioritaires, comment contourner l'irrésistible accroissement démographique et spatial de l'humanité sans que les décisions politiques soient frappées de nullité ou d'inefficacité ?
Il faut souligner qu’un projet de recherche étudiant les modalités de l’extinction, sans s’accompagner d’une ligne interventionniste claire, risque de voir le malade mourir guéri.
Donc le projet doit présenter une finalité politique suffisamment claire pour que la recherche débouche aussi sur une proposition concernant les modalités d’application des remèdes connus.
A partir de ces éléments nous pourrons intégrer l'équivalent pour la biodiversité de ce que le GIEC est pour le climat : un groupe reconnu ayant la possibilité de rendre publiques les données sans qu'il y ait possibilité de réinterprétations nationales ou locales.
Ca me rappelle ceux qui disent, ici, que le réchauffement de la planète est lui aussi une construction sociale. Je ne suis pas experte en la matière, mais il me semble que c'est plutôt un euphémisme pour dire "arrêtez de nous faire chier avec vos restrictions et vos grands discours."
Rédigé par : Dr. CaSo | jeudi 13 nov 2008 à 15:33
Oui, un peu comme ceux qui disent "Une voiture, c'est fait pour rouler vite !"
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 13 nov 2008 à 17:42
et ils n'ont pas complètement tord. Un voiture pollue moins qd elle roule vite (cycle autoroute vs cycle urbain) ;)
Sinon sans rire; quelle est la définition de "construction sociale"? C'est un peu la clef pour comprendre les différences de point de vue des sociaethnobiologues non? Merci d'éclairer ma lanterne
Rédigé par : mouton | jeudi 13 nov 2008 à 18:35
Une "construction sociale" est une représentation (ou un ensemble de représentations) qui orientent les comportements d'une société donnée, ou qui font partie de son fonds culturel. L'inceste, par exemple, a longtemps été considéré comme une construction sociale (le "tabou de l'inceste") avant qu'on ne découvre qu'il faisait l'objet d'une inhibition universelle tant chez les mammifères que chez les oiseaux. Cela ne l'empêche pas d'être une construction sociale, mais qui a un fond phylogénétique indéniable. Les inégalités entre les races, le racisme scientifique, sont aussi des "constructions sociales", par la manière dont une société s'est érigée en modèle de civilisation pour les autres, ouvrant l'ère coloniale. Dans ce cas, il s'agissait en effet d'une construction sociale, qui allait jusqu'à fausser le résultat d'expériences scientifiques (cf S.J. Gould, The Mismeasure of Man, 1983). Mais l'idée que la nature est elle aussi une construction sociale est perverse, puisqu'elle tend à mettre sur le même plan, par exemple, la parole des chasseurs ("nous sommes les gestionnaires de la faune, mieux que ces messieurs de Paris") et ceux de scientifiques pointant la nécessité d'écosystèmes incluant des prédateurs (loup, lynx, ours, cf la thèse de Farid Benhammou, "Crier au loup pour avoir l'ours",2007), ou mettre sur le même plan la biodiversité des troupeaux de brebis et celle des massifs pyrénéens, ou dénoncer la création de Parcs Nationaux (comme celui de Guyane) au nom des traditions locales (l'écologie serait ainsi un énième tentacule de l'ethnocentrisme occidental, acharné à la perte des braves peuples traditionnels).
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 13 nov 2008 à 18:48