"Fair Greece, sad relic of departed worth" (Noble Grèce, triste relique d'une splendeur enfuie) écrit Byron quelque temps avant de mourir à Missolonghi. Pour Byron comme pour l'immense majorité des intellectuels européens, la Grèce, délivrée du joug ottoman en 1821, n'est que l'ombre de ce qu'elle fut autrefois. Peuplée de paysans crevant de faim, les puissances européennes l'estiment incapable de prendre en main son destin, et lui imposent le roi bavarois Othon, en 1840. La France, l'Angleterre et surtout l'Allemagne (la Prusse) se veulent les véritables détentrices du génie grec, et Gobineau voit en le déclin des Grecs celui d'une race corrompue par le métissage et les compromissions. On pense alors que les civilisations vivent et meurent comme les hommes, l'esprit étincelant de la jeunesse cédant la place à la sagesse de l'âge mûr, pour enfin sombrer dans la démence, la déliquescence, et l'obscurité.
Discutant avec mes parents hier à propos de la salle ottomane du Musée Bénaki d'Athènes (normalement consacré à l'Art byzantin), je me demandais pourquoi, après quatre siècles d'occupations, on ne trouvait en Grèce quasiment nulle trace de la présence ottomane, sinon un pauvre minaret à Athènes, et la palais d'Ali Pacha à Joaninna. Mes parents me rappellent alors que la Grèce, sous les Ottomans, était un pays pauvre, agricole, écrasé sous l'impôt, et que les pachas n'avaient nul désir de s'y enraciner. Pas d'Alhambra, donc, ni d'Alcazar. Sous l'empire byzantin, déjà, la richesse provenait du commerce avec le bassin méditerranéen, mais la Grèce, comme terre, n'avait déjà plus rien à produire.
En effet, considérons la Grèce physique d'aujourd'hui : maquis semi-aride, hébergeant des tortues, avec des plantations d'olivier et de pins, et quelques grands eucalyptus. Ce n'est qu'en zone de montagne, à Olympie, par exemple, dans le Pilion, en Eubée, ou tout au Nord, vers la Bulgarie et la Macédoine, que se trouvent des feuillus, des ours, des loups, des terres encore fertiles. Toutes les îles, les Cyclades en particulier, sont desséchées.
Or il apparaît que le déclin de la Grèce n'est pas et n'a jamais été un déclin intellectuel. Sa splendeur lui venait de ses mines d'or, de plomb, d'argent, de son marbre, de ses sols fertiles, de ses forêts qui lui permirent d'investir dans une flotte gigantesque. Une fois ceci épuisé, il ne restait rien. Les Romains s'emparèrent du commerce, et les Grecs, dès lors, n'avaient plus qu'à se faire marchand, les intellectuels émigrèrent, restèrent les paysans sur la terre poussiéreuse ne se prêtant plus qu'à de rares cultures.
L'occultation de ce facteur proprement environnemental au déclin des différentes civilisations grecques est significatif de l'insouciance et de l'ignorance crasse des humains à l'égard de la terre qui les fait vivre. La "splendeur enfuie" selon Byron ne pouvait être celle de forêts de chênes transformées en navire, ni ces sangliers ni ces lions qui parcouraient le Péloponèse. Ce devait être forcément le nombre de neurones dans l'esprit de Platon, le nombre de feuilles d'or sur un masque mycénien. Penser que cela pût venir de la pluie et des arbres eût semblé vulgaire, indigne d'un haut esprit.
Biblio:
Broswimmer Franz, Ecocide, 2003, Parangon
Kohler Denis, Mémoires de Macriyannis, 1986, Albin Michel.
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