Le nombre de mes lecteurs ayant rétréci à vue d'oeil, je puis à présent faire une confidence qui, je le sais, restera entre nous.
J'ai une vie secrète.
En apparence, je suis un brave enseignant-chercheur, qui fait des allers-retours à Neverland, participe mollement à la mobilisation générale contre la réforme de l'enseignement supérieur, dort à l'hôtel Foch, se plaint de ses conditions d'existence, etc.
Bon, je le concède, je suis aussi un enseignant-chercheur insatisfait, qui fait des allers-retours, etc.
Dans cette vie toute d'apparence, je dispense quelques cours, je sonde les collègues au sujet du port éventuel d'une barbe, et selon quelles modalités. Je le dis tout net: les secrétaires du département s'y sont formellement opposées, et même mes collègues barbus se sont montrés sceptiques (peut-être sont-ils jaloux). Plus grave : mes étudiantes de licence ne semblaient pas convaincues.
Mais je mène également une vie secrète. Cette vie, le lecteur attentif l'aura compris, tourne autour du risque réel ou supposé d'attentats contre le TGV Neverland-Paris. L'Institut de Veille stratégique a mis en place, sur tout le territoire, des cellules antiterroristes auxquelles j'ai l'heur de participer. Mon groupe de réflexion, le G.O.R.E.T. (Groupe d'Observation du Risque Terroriste), réunit des spécialistes de différentes disciplines chargés d'évaluer, prévenir ou atténuer la menace terroriste pesant sur le TGV.
Ma thèse est connue : le TGV est protégé avant tout par ses tarifs. Les rames se vident de voyageurs désargentés, et frapper un corbillard n'intéresse personne. Selon moi, le risque principal pesait sur les infrastructures, et on l'a vu, cela n'a pas manqué de se produire.
Mais la cellule Veille et Anticipation d'Urgence (V.E.A.U.) nous a demandé de revoir notre copie. Un faisceau d'indices nous invite à penser qu'une menace se précise. Deux options sont retenues.
1) Le groupe terroriste, affaibli par la crise des subprimes, n'a pas les moyens de se payer un billet. C'est alors la vigilance des passagers qui fera la différence. Le terroriste, équipé d'un sac à dos, cherchera probablement la rame la plus pleine. Les passagers indisciplinés sont protégés par leur indiscipline: pas moyen de glisser le sac contenant la bombe dans la rame elle-même, qui déborde de manteaux, chapeaux, bouquets de fleurs, chats, chiens, béquilles - le terroriste présumé dépose donc son sac rempli de clous et de boulons dans le couloir intersticiel, où l'explosion ne meurtrira que ceux qui patientent devant la porte des toilettes.
Admettons cependant que la rame ne soit pas bondée. Comment repérer le candidat au suicide? Facile : 1) il ne porte pas de barbe pour passer inaperçu. 2) c'est le seul passager qui ne soit pas vissé à son téléphone portable - de crainte de déclencher prématurément l'explosion.
Parade : brouiller les émissions de téléphone portable. Si la manoeuvre échoue, au moins les passagers auront-ils vécu leurs derniers instants dans la tranquillité.
2) Le groupe terroriste a reconstitué sa trésorerie. La menace est assez précise: on sait à présent que nombre d'individus suspects on participé à des stages visant à maîtriser l'utilisation du site voyage-sncf.com, et sont donc susceptibles d'acheter des billets électroniques. On suppose que les sommes réunies (par braquages, cotisations, trafic d'opium) pourraient permettre à quatre ou cinq fanatiques d'acheter un billet en tarif "loisir" (en seconde classe). Ces individus maîtrisent la technologie nécessaire à afficher les horaires et réserver un billet en contournant les écrans parasites ("Un problème technique est survenu, réessayez demain"... ou bien "Le prix du billet sera prélevé mais un problème technique interdit son émission"). Ils se sont forgé une mentalité de fer qui leur permet d'aider au transport de poussettes sans se détourner de leur mission. Ils sont dangereux et subtils, formés à la lutte et au body-contact dans l'attaque de laboratoires pharmaceutiques ; ils sont des fanatiques de la cause animale. Seul un petit chat ou un mignon chien-chien occupant la place 73 (pourtant réservée) pourrait les inciter à déposer leur bombe dans un autre compartiment.
Parade : La SNCF doit encore augmenter ses tarifs. Viendra un moment ou plus personne ne pourra voyager sur ses lignes, et la menace terroriste, telle un nuage, finira par s'éloigner.
"craint qu'un jour un train ne t'émeuve plus !" G.Apollinaire
Rédigé par : evelyne | samedi 31 jan 2009 à 14:23