Retour de Rennes, où étaient organisées les deuxièmes journées de notre programme amazonien.
On y présentait la troisième année de travaux et terrains. Xavier nous a parlé longuement de la soeur Dorothy, celle qui fut assassinée en 2005 pour 50 000 réaux. Elle proposait à des migrants de participer à une expérience de colonisation durable, où la propriété de la terre serait collective. Il semble que les gens n'adhéraient pas à son projet. Elle considérait les fazendeiros comme le diable, et cveux-ci ont fini par avoir sa peau. Elle morte, la terreur s'est installée, plus personne ne paraissait comprendre l'idéal qu'elle défendait, à mesure que la projet s'implantait ses idéaux semblaient décalés. Même les expériences les plus vertes finissent par aboutir à ceci:
Cette photo est tirée d'un autre terrain, mais la philosophie du développement en Amazonie est bien la même partout. La conclusion générale était qu'à cinquante ans d'ici le front de colonisation aurait entièrement occupé la rive sud de l'Amazone.
Voici la salle à l'heure de la pause déjeuner. Elle est vide, si l'on excepte une irréductible travailleuse :
Ces journées sont de bonnes occasions de socialiser. L'équipe qui s'est constituée au fil des années est enthousiasmante. On compte parmi nous très peu de cas pathologiques (érotomanie, susceptibilité d'écorché, suffisance, etc.). Le mardi soir, tandis que nous renforcions notre lien d'appartenance au groupe, je me suis fait la réflexion qu'il était étrange, presque incroyable, que des gens ayant auparavant parcouru les quatre coins du Brésil se retrouvent tous ensemble dans une crêperie bretonne.
Le lendemain, justement au sujet de l'assassinat de Dorothy Slang, un débat s'est élevé pour savoir si les anthropologues usaient davantage l'hémisphère droit de leur cerveau que les géographes. Nous n'avons pas tranché.
Les aléas du voyage furent peu nombreux: un suicide sur la voie à l'aller (deux heures de retard, une bonne occasion de déterminer qui, de François Michel ou moi, portait la poisse), et deux nuits en auberge de jeunesse qui semblait conçue sur le modèle du théâtre d'Epidaure (on entend depuis les chambres le craquement d'une allumette à l'étage en dessous). Pour le reste, la gare de Rennes me rappelle d'horribles souvenirs, dernier Noël avec mon ex où je sentais que j'allais finir mes jours à la SPA.
Et mes chers lecteurs ayant vivement réagi aux funérailles de mon grille-pain, je me dois de leur dire que l'annonce de sa mort était exagérée.
Aaaaaaah Rennes... Je connais un peu cette ville, et notamment - effectivement - tout le quartier dit "du parking du sofitel", un quartier à la forte empreinte historique, d'une beauté un peu exigeante, mais assez typique.
C'est un quartier encore assez tranquille - je ne sais pas si vous vous en êtes fait la réflexion - relativement éloigné (mais pour combien de temps encore) des circuits des tour operator et des fléaux du tourisme de masse (surtout fin janvier).
J'avais remarqué qu'on y croisait fréquemment des groupes d'anthropologues à l'humeur plutôt stable. Je pensais jusqu'à présent que seul le prisme de ma subjectivité y avait vu quelque chose de significatif, mais je constate désormais que je ne suis pas seule à m'être fait la réflexion.
PS : qui sont les "fazendeiros" ?
Rédigé par : Fantômette | jeudi 22 jan 2009 à 11:59
Les fazendeiros sont les propriétaires de fazendas, grandes exploitations de bétail, mais aussi toute forme de grand domaine agricole.
Rennes est d'une beauté austère, vous avez raison, et le parking de l'auberge de jeunesse valait le détour aussi.
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 22 jan 2009 à 12:15
Le grille-pain a ressuscité? C'est le messie des toasters? Vite vite fonde une nouvelle religion, devient grand gourou et fais plein de thunes.
Apres tu achetes des bons gros morceaux de foret amazienne et tu y interdis l'exploitation miniere, forestiere etc...
Rédigé par : Mouton | jeudi 22 jan 2009 à 15:27
Mouton, mon ami, tu crois que les gens sont prêts à vénérer un gars qui répare les grille-pain? Tu penses que la crise de civilisation est si profonde que cela?
Rédigé par : Anthropopotame | jeudi 22 jan 2009 à 19:22
A propos de racheter des morceaux de forêt amazonienne, cela m'évoque l'histoire suivante, qui me fut racontée, il y a quelques années, par un anglais assez peu banal - en cela, vraiment très anglais - et vieil habitant d'Oxford.
Oxford, comme chacun sait, est avant tout une ville universitaire. Lorsqu'au début du siècle dernier (si mes souvenirs sont exacts) une grande usine Firestone est venue s'y implanter, s'est naturellement installée alentours toute une population ouvrière, dont l'arrivée - c'est hélas un euphémisme - ne fut pas vue d'un bon oeil par les oxfordiens de souche.
Il fut généralement admis que ces populations ne sauraient gagner à se fréquenter l'une l'autre.
Décision fut prise de les séparer, le plus radicalement possible.
L'époque était aux murs. Un mur fut donc bâti, séparant les quartiers qui s'étaient de facto créés, ceux qui étaient habités par les uns, ceux qui étaient habités par les autres.
Le mur coupait la ville en deux, les terrains, les rue.
Certains oxfordiens désapprouvèrent cette décision. Parmi eux se trouvait le père de mon interlocuteur, qui décida fermement que l'existence de ce mur lui déplaisait, et qu'il convenait d'y mettre fin.
Il réfléchit soigneusement à la question. L'activisme lui semblait peu efficace. Il doutait de sa capacité à mobiliser les foules. Il fut, en digne représentant de Sa Très Gracieuse Majesté, pragmatique et sensé. Le mur se trouvait, sur l'immense majorité de son tracé, sur des parcelles privées. Il proposa à chaque propriétaire de ces parcelles de leur racheter le petit morceau de terrain correspondant au sol situé très exactement sous le mur.
Certains acceptèrent.
Dès qu'il avait acquis ce petit morceau de terrain, il abattait le bout de mur qui s'y trouvait.
Petit à petit, très patiemment, et le plus légalement du monde, il défit le mur, morceau par morceau. Son fils après lui poursuivit son oeuvre de très puissante petite fourmi.
Le mur partait en déliquescence. Le conserver plus longtemps, dès lors qu'il se criblait de béances et que l'on ne s'y heurtait plus qu'en pointillé, n'aurait pas eu grand sens.
On précipita sa chute ultime, à la grande satisfaction de mon très flegmatique interlocuteur, heureux, me souffla t-il, de pouvoir profiter tranquillement de la suite de son existence, débarassée de ce "fastidieux hobby".
Rédigé par : Fantômette | jeudi 22 jan 2009 à 19:27
Elle est sublime, votre histoire, Fantômette!
Malheureusement, la situation de l'Amazonie ressemble beaucoup à cela: plein de petites fourmis qui patiemment, laborieusement, à force d'achat de minuscules parcelles, la brûlent à petit feu. Conrad avait raison : l'esprit de l'homme est capable de tout, et moi j'avais raison de vouloir appeler mon futur et mignon petit chat Fantômette ;)
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 22 jan 2009 à 19:36