La tournure que prend le mouvement anti-réforme devient inquiétante. Alors que la plupart d'entre nous, favorables à la majeure partie de la loi LRU et du statut des enseignants-chercheurs, ont réagi au discours du 22 janvier de Nicolas Sarkozy - aucun corps constitué ne peut admettre qu'on le traite par le mépris - et se tiennent satisfait de la reprise des négociations, nombre de collègues s'activent, volent d'AG en AG, mobilisent les étudiants, agitent le spectre de la suppression de la maternelle et de la casse du service public. Ceux-là défendent une autre idée de l'université, défendent précisément l'université telle qu'elle est aujourd'hui.
Quiconque a lu Homo Academicus de Bourdieu sait combien l'Université a pâti des premiers recrutements massifs d'agrégés normaliens, à la fin des années 50. Non pas du fait de leurs qualités propres, sans doute excellentes, mais du fait du développement progressif d'une faction, persuadée de la valeur des concours - CAPES et agrégation - et recrutant dorénavant dans ce vivier.
Avec l'arrivée en masse de nouveaux étudiants, dans les années 80 - les 80% d'une classe d'âge réclamés par Chevènement - la multiplication des TD de première année, de cours de "renforcement" ou de mise à niveau, ces enseignants issus du secondaire ont trouvé leur raison d'être. La dynamique qui s'est alors engagée va dans le sens du recrutement massif de nouveaux enseignants dont les aptitudes à la recherche importent peu. L'investissement massif dans la première année (tutorat, dispositifs personnalisés, recrutement de PRAG et de chargés de cours) est évidemment rendu nécessaire par cette dynamique.
La réforme du statut des enseignants chercheurs allait permettre de casser cette spirale de secondarisation, en rappelant à chacun que le service d'un enseignant chercheur comprend, comme son nom l'indique, de la recherche. Jusqu'ici, les maîtres de conférences pouvaient se dispenser de tout travail véritable dans ce domaine, pondant de ci de là un papier joliment tourné pour la publication d'un collègue tout aussi peu actif. En revanche, le temps libéré par l'absence de recherche pouvait être réinvesti dans des heures supplémentaires d'enseignement, assez grassement payées. En d'autres termes, quiconque s'en tenait à son service réglementaire pour se consacrer aux terrains, à l'écriture, à la valorisation de la recherche, accomplissant ainsi son service normal, ne gagnait pas un sou de plus, cependant que celui qui sacrifiait la recherche pouvait doubler son salaire en enseignant davantage, tout en recevant d'office la prime de recherche de 1000 euros par an.
C'est un fait observable : les plus actifs au sein des AG sont ceux-là qui ne font pas de recherche, enseignants-chercheurs ou PRAG, et ce sont ceux là qui tiennent farouchement à maintenir les concours d'enseignements tels quels. C'est ce qu'ils ont connu. Ils ne connaissent rien d'autre. Pour eux, le monde est contenu dans la Princesse de Clèves, même s'ils ne l'ont pas lue. Sarkozy emploie des slogans, ils usent de symboles, car ils n'ont rien d'autre à faire valoir. Ils ne veulent s'intéresser à rien d'autre. L'Université est un cocon de "beauté" et de "gratuité", pourvu que leurs salaires soient payés.
Ils se dressent contre le népotisme des Présidents d'Université quand jusqu'à aujourd'hui le népotisme était contenu dans les commissions de spécialistes. Oui, oui, nous étions enseignants-chercheurs-recruteurs. A Neverland, seuls 5 collègues sur 17 n'ont pas bénéficié de passe-droit (et je fais partie de ceux qui en ont bénéficié). Les commissions étant majoritairement composées d'enseignants tels que je les décris, ils estimaient faire leur devoir en écartant les véritables chercheurs et optant pour ceux qui, nantis d'un doctorat médiocre, suaient encore la poussière de la craie et du tableau noir.
Ceux-là sont en train d'être entendus. Alors que la plupart d'entre nous se range derrière la CPU et lui donne mandat pour négocier, ceux-là continue à s'agiter et à lever les étudiants contre le "formatage idéologique" imposé par les nouveaux masters - en quoi s'agit-il d'un "formatage"? Mystère de la propagande. La réponse du président: proposer une plus grande perméabilité entre secondaire et université. C'était déjà les cas des bacheliers; ce sera dorénavant celui des enseignants, qui verront s'ouvrir des passerelles vers l'université.
La révolte à laquelle j'ai participé est en train d'aboutir à l'inverse de ce en quoi je croyais. Plus de secondarisation, moins de recherche. Bravo les gars. Slogan contre slogan, absence de pensée à long terme contre absence de projet présidentiel. Vous cassez Valérie Pécresse alors que c'est Sarkozy qu'il fallait moucher.
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