Si je parle des "jambes" de l'éléphant ou de la fourmi, je fais de l'anthropomorphisme.
Pourquoi ?
Parce que chacun sait que tant les éléphants que les fourmis ont des pattes, les "jambes", selon notre double système de dénomination, étant réservées aux humains.
L'anthropomorphisme consiste donc à attribuer aux animaux des propriétés caractérisant l'être humain, parmi lesquelles le fait d'être porté par des jambes.
Rappelons que les animaux, eux, sont supportés par des pattes.
Il est important que ceci soit très clair. En effet, si j'observe une mère éléphant auprès de son petit mort-né, qui le caresse trois jours durant, laissant son groupe aller de l'avant ; si j'observe la même éléphante auprès de sa mère mourante, la soutenant, s'efforçant de la relever, puis demeurer auprès du corps défunt, le couvrant finalement de branchages et de poussière ; et quelques mois plus tard, celui-ci étant décomposé, s'écartant de son chemin et de sa troupe pour revenir palper longuement le crâne dénudé, renouveler la couverture de branches, je ne puis parler de "deuil", de "sentiment de deuil", sans faire de l'anthropomorphisme.
Pourquoi ? Parce que chacun sait que seuls les humains éprouvent ces sentiments, il nous est donc impossible de réattribuer les propriétés contenues dans un mot pour envisager que ce qui est humain, au fond, n'est pas proprement humain, ni les jambes ni le nez ni le deuil, et que les animaux font preuve d'humanité tout autant que nous autres, humains.
"les animaux font preuve d'humanité tout autant que nous autres, humains"
Parfois plus, meme...
Rédigé par : Le Piou | lundi 08 juin 2009 à 18:30
Bonjour anthropopotame,
Votre dernière phrase ("les animaux font preuve d'humanité") laisse tout de même songeur.
Si nous raisonnons littéralement, le terme "humanité" renvoie bien sûr à la nature de l'homme. Elle est ce qui fait de l'homme un homme - ce qui le rend "homme", du moins à ses propres yeux.
On peut bien entendu se demander en quoi consiste cette qualité, sur quoi elle se fonde, à quoi elle s'oppose.
On peut même se demander (et surtout peut-être) si une chose telle que "la nature de l'homme" existe.
Ce qui vient brouiller parfois le débat, me semble t-il, c'est la difficulté qu'il y a à savoir à quel niveau de compréhension et d'analyse on se situe lorsque, dans un discours, on oppose l'homme aux autres espèces animales.
Se réfère t-on à l'homme par opposition à l'animal ? Ou l'homme, animal biologique parmi les autres animaux, mais différents des autres animaux.
En d'autres termes, dire "l'homme", est-ce dire "autre qu'un animal" ou simplement "un autre animal" ?
Est-ce dire "extérieur au règne animal" (ce qui serait un contre-sens biologique) ou est-ce dire différent - non pas de toutes les autres espèces, mais de chacune d'entre elles, à la façon dont un chat n'est pas un chien, qui n'est pas un lapin, qui n'est pas un éléphant... qui n'est pas un homme.
La semaine dernière, l'anthropologue, Pascal Picq, était interviewé assez longuement à la radio sur ce sujet. Il distinguait dans son discours "l'homme philosophique" et "l'homme biologique".
Je me suis demandée ce que vous pensiez de cette distinction.
Sur sa page wikipédia, figure la phrase suivante de P. Picq, qui me semble refléter assez bien ce que j'ai pu suivre de sa pensée, et qui résume la conception qu'il se fait de l'humanité (au sens littéral, toujours, de cette qualité qui fait de l'homme un homme).
"C'est une construction de notre psychisme qui s'appuie nécessairement sur un substrat cognitif dont les origines remontent au-delà du dernier ancêtre commun que nous partageons avec le chimpanzé. Au cours de leur évolution, les chimpanzés ne sont pas devenus des hommes ; quant aux hommes, il n'est pas certain qu'ils soient devenu humains."
A ce titre, toujours, c'est un fait peu connu que l'humanité est une notion juridique, depuis quelques cinquante années.
En effet, la catégorie juridique des crimes contre l'humanité renvoie bien à cette acception du terme "humanité", plus qu'à l'acception qui renvoit à la collectivité des êtres humains.
Le crime contre l'humanité est un crime contre la nature humaine et non un crime contre l'ensemble des êtres humains.
Rédigé par : Fantômette | mardi 09 juin 2009 à 13:26
Fantômette, la question de l'homme biologique/philosophique étant largement débattue, je n'y reviens pas.
J'essaie de pointer ici à quel point notre vocabulaire, et particulièrement la double dénomination du type "mettre bas/accoucher", est u_n obstacle à la prise en compte de phénomènes qui nous crèvent littéralement les yeux. En qualifiant "d'humains" tous les comportements qui ne relèveraient pas de "l'instinct" ou du "renforcement du lien social", nous postulons que seuls les hommes peuvent éprouver certains sentiments. Et donc, CQFD, le fait de les pointer chez d'autres espèces relève de "l'anthropomorphisme".
Rédigé par : anthropopotame | mardi 09 juin 2009 à 13:57
Hum hum.
Est-ce qu'à votre connaissance, cette césure du champs lexical homme/animal (accoucher/mettre bas, jambes/pattes, bouche/gueule etc) se retrouve dans toutes les langues ?
Par ailleurs, quelque chose me frappe. Y a t-il une raison de penser que ce n'est pas par hasard si certaines fonctions ou caractéristiques communes aux hommes et aux animaux font l'objet de cette double dénomination que vous pointez du doigt, alors que pour d'autres, une dénomination commune existe ?
Par exemple, on va dire accoucher/mettre bas pour les hommes, pour les animaux. Mais on va dire "mourir" pour tout le monde ("naître" aussi, d'ailleurs, aussi bien). On va dire bouche/gueule pour les hommes, pour les animaux. Mais on va dire yeux, oreilles, ventre pour tout le monde.
Rédigé par : Fantômette | mardi 09 juin 2009 à 15:08
Vous avez raison. Seuls les hommes éprouvent la compassion, la sollicitude, l'amour, l'amitié.
Ce fut au début, quand Dieu créa la Terre.
Aux animaux n'est resté que l'instinct et la colère.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 09 juin 2009 à 15:34
?
Non, je ne le crois pas.
J'essaye de comprendre pour quelle(s) raison(s) (et, accessoirement, quand) les hommes ont décidé qu'ils étaient différents dans leur principe de tous les autres animaux - et comment ils s'y sont pris.
Vous expliquez que nous nous sommes artificiellement différenciés du reste du règne animal en suggérant cette différence, par l'irruption d'une double dénomination renvoyant en réalité à une réalité commune. Vous expliquez ensuite que cette double dénomination rend difficile la simple perception de nos communautés d'expériences.
J'en conviens aisément.
Dès lors que l'on a appris à penser qu'un animal n'avait pas de jambes parce qu'il avait des pattes, ou qu'il n'avait pas de bouche parce qu'il avait une gueule, la seule utilisation de ces termes tend à rendre "perceptible" (ou disons plutôt "intelligible") une différence qui n'est pourtant que lexicale.
Nous sommes donc d'accord.
J'essaye simplement d'aller au bout du raisonnement.
Est-ce que tous les hommes ont "raisonné" de la même façon ? Est-ce que toutes les cultures humaines pensent qu'il n'est pas incongru d'appeler de la même façon la "patte" d'un éléphant et la "patte" d'une fourmi, alors que l'homme se voit gratifié d'une paire de "jambes" ? Ou s'agit-il seulement des langues indo-européennes ?
Ma deuxième question n'était pas plus provocante.
On qualifie de manière différenciée certaines actions (le fait d'accoucher) et certains attributs (les jambes, la bouche) selon qu'ils sont associés aux hommes ou aux animaux. Mais ce n'est pas le cas pour toute les actions, et ce n'est pas le cas pour tous les attributs.
Y a t-il une raison pour laquelle il serait admis comme une évidence qu'un animal a des yeux et des oreilles, mais qu'il ne saurait avoir une bouche ou des jambes ?
Je ne faisais que me poser la question.
Rédigé par : Fantômette | mardi 09 juin 2009 à 17:46
Fantômette, toutes les langues du monde possèdent cette double détermination, simplement elle ne porte pas toujours sur les mêmes actes ou les mêmes membres.
Maintenant, si vous considérez le terme "homme" vous remarquerez qu'il s'agit en fin de compte de l'équivalent d'un ethnonyme, mais appliqué à une espèce.
Les langues amérindiennes regorgent de noms d'ethnies (Yanomami, Araweté, Tupinamba, etc) qui veulent dire tout simplement "Nous, les hommes", "Les vrais hommes", "les gens". Parfois le nom d'ethnie devient synonyme de "gens" ou "vrais hommes" puisque ceux qui n'appartiennent pas à l'endogroupe basculent dans l'indistinction. Les "Grecs" s'opposent ainsi à la masse confuse des "barbares", les Tupi à celle des Tapuias.
Donc, oui, la double dénomination et double détermination surgissent avec le langage. Quant à décrire en quoi l'expérience humaine diverge de celle des autres animaux, c'est une proposition aberrante puisque nous n'avons pas les moyens de la définir.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 09 juin 2009 à 17:59
Pardon de vous déranger, mais les chevaux ont des "jambes", parce qu'ils sont "nobles" (???)
Rédigé par : IV | mardi 09 juin 2009 à 18:03
Moi je dis souvent pattes pour un être humain :-) Serais-ce du zoocentrisme alors?
Malgré notre ego surdimensionné, l'Homo sapiens fait encore partie du règne animal, n'étant ni végétal (végétatif parfois mais pas végétal), ni minéral (quoique...). On peut débattre de sémantique longtemps, mais malgré notre gros cortex, nous sommes des mammifères (presque) comme les autres :-) Le language nous permet de nous distinguer mais je soupçonne que certaines autres espèces évoluées comme les grands singes ou les cétacés font de même à leur façon. Notre singularité nous fascine tant !
Rédigé par : Elo | mardi 09 juin 2009 à 19:37
Pour" IV "et avec plus d'un an de décalage: le cheval étant considéré comme la plus noble conquête de l'homme, certaines parties de son anatomie ont des appellations qui les différencient des autres animaux. Ainsi un cheval a une "bouche" et non une "gueule", un "nez" et non un "museau", et des "jambes" ou "membres" et non des "pattes"...
Rédigé par : horsewhisperer | vendredi 07 jan 2011 à 04:38