M. la Jolie m'a emmené voir l'exposition de Patrick Zachmann, "Ma proche banlieue", à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (ex-musée des arts africains et océaniens, Porte Dorée). Nous en avons profité pour visiter également l'exposition permanente.
Je ne sais si c'est d'avoir arrêté de fumer, mais à voir le film que Zachmann consacre à son père, et ses photos de familles vues au bled ou à Bobigny, à Marseille puis à Alger, j'ai été pris d'une envie de pleurer qui m'a rendu cette visite bien pénible.
Le dialogue impossible entre un père et son fils, finalement noué juste avant la mort du père, rappelle ce dicton anthropologique: ce que le père veut oublier, le fils veut l'apprendre. Les déportés ou fils de déportés n'aiment pas forcément remuer ces pans d'histoire qui pour eux relèvent de l'intimité, certains développent des formes d'amnésie, d'autres éludent, éludent jusqu'à retrouver un portrait, un vieux billet de train, une carte de travailleur obligatoire et que sais-je.
L'histoire des vagues d'immigration en France est retracée depuis le XIXe siècle, de l'ingénieur anglais au paysan malien, et tout cela figure sous forme de fragments lors de l'expo. Musiques, voix, bouts de tissus, poupées, documents officiels, tout cela patiné, rendu historique, désindividualisé pour renvoyer à des identités collectives, à des contacts intergroupes.
M. la Jolie en sortant était réjouie de voir l'aspect positif de ce musée, qui montrait bien la richesse que chacun porte avec soi, richesse de culture, de valeur, de référence, et les nouvelles valeurs créées à partir du contact, incarnées par ces photos de la banlieue française. Ces photos montrant la banlieue dans sa banalité, les habitants marchant d'un pas quotidien, sauf que ces pas ont trouvé leur origine au Vietnam, au Laos, au Cameroun ou au Chili, suggéraient que l'histoire d'une ville, d'une cité, est un creuset d'histoire des hommes - il en est de dramatiques, d'autres sont le fruit de simples déplacements.
Si l'on suit l'expo en termes d'histoire culturelle, alors, oui, l'histoire de l'immigration est une belle et triste histoire, enchevêtrement de parcours, de souffrances qui parfois se résolvent en d'autres souffrances ou en simple tristesse, nostalgie, et passent une ou deux générations et une vie nouvelle, ancrée dans de nouvelles traditions, prend la relève.
Si l'on réfléchit maintenant en termes d'histoire naturelle, le bilan pour notre espèce est assez accablant. Que dirait-on des éléphants si ceux-ci n'avaient, au long de leur histoire cessé de se rentrer dedans, de s'exterminer les uns les autres, de mettre à mal leurs écosystèmes jusqu'à devoir entreprendre de longues et coûteuses migrations, les populations restant sur place interdisant à jamais à ces écosystèmes de récupérer?
A aucun moment, depuis le Néolithique, les populations humaines n'ont su vivre sans mettre à mal leurs ressources, la démographie n'a jamais été contrôlée qu'à coup de migration massive, et jamais aucun groupe humain n'a pu échapper aux tentations exterminatrices d'un voisin ou d'un groupe envahisseur.
A considérer l'histoire de l'humanité dans son ensemble, telle qu'elle s'étale crûment dans ce musée, on se demande comment on peut tergiverser sur les causes de la disparition de l'homme de Neanderthal au moment de l'arrivée des hommes modernes...
Rédigé par : |