Un petit tour au Monoprix aujourd'hui. Olives pommes de terre yaourt vin jus de fruit. Je passe en caisse, je suis chargé, mes doigts transis glissent sur les sacs en plastique. J'essaye d'attirer l'attention de la caissière: "huhu, je n'arrive pas à ouvrir le sac..." Elle détourne ostensiblement la tête. Je prends donc mon temps, et j'envisage sereinement de remplir tous mes sacs avant de payer par carte bleue. Après un moment, je demande tout de même: "Ne vous serait-il pas possible de m'aider, Madame?" - "Je ne vois pas pourquoi", répond-elle.
Depuis quelques temps je demande systématiquement aux caissières, tant à celles qui aident spontanément qu'à celles qui n'aident pas, si elles reçoivent des directives dans ce sens ou dans l'autre. Et cela renvoie à une conversation sur le blog Radical Chic, justement, où s'étaient déversés toute sorte de commentaires établissant 1) que la direction imposait aux caissières de ne pas aider afin d'accélérer les flux; et 2) qu'à l'opposé, c'était de la part des caissières une démarche assumée, car leur emploi est mal payé et totalement inintéressant; elles avaient donc raison d'adopter une posture de résistance à l'oppression capitaliste en n'aidant pas les clients.
La réponse 1) est écartée, les directions concernées ne donnant aucune instruction. La réponse 2) est intéressante, puisqu'elle indique que quiconque fait un travail mal payé et/ou inintéressant est en droit ou en devoir de mal le faire. On pourrait en déduire qu'une immense partie de la population, professeurs et chercheurs compris, devraient assurément torcher leur travail dans l'attente d'un meilleur salaire. Je pourrais signaler aux étudiants qu'ils n'ont plus le droit de s'adresser à moi lorsque j'estime avoir terminé mon service, et je pourrais bâcler mes articles pour montrer qu'ils sont mal rémunérés. Et toujours selon cette logique, un emploi de cadre dans le privé, ou de spécialiste médical, ou toute autre fonction royalement rétribuée, impliquerait en retour que le travail soit fait et bien fait.
Mais cette attitude qui consiste à pardonner tout au nom d'un malheur imposé (celui d'exercer un travail non qualifié ou mal rémunéré) se retrouve sous des formes inattendues dans l'épisode suivant: lors de la grève à l'université, les étudiants bloqueurs se regroupaient devant les salles où des cours se déroulaient pour lancer leur grand charivari, destiné à décourager ceux qui y assistaient. Or, à un moment donné, la secrétaire du département est venue les trouver pour leur demander de faire un peu moins de bruit car elle essayait de travailler. Les étudiants lui ont alors piteusement présenté des excuses, expliquant que le tumulte s'adressaient aux professeurs non-grévistes, et non pas au "petit personnel". Solidarité spontanée des étudiants vis-à-vis d'une profession qu'ils jugeaient subalterne?
Enfin, quelques scènes qui me reviennent à propos des Indiens Pataxo confrontés aux touristes: l'expression de compassion outrée qui se lisait sur les visages des visiteurs, comme si être un petit paysan pauvre au phénotype indigène impliquait une subite commisération. Parce qu'ils sont pauvres? Parce que leur travail d'Indien est inintéressant? Ou par culpabilité obligée face à des gens supposément moins privilégiés que le touriste en goguette qui vient les voir?
Quiconque occuperait dans la société une position jugée inférieure serait donc en droit de recevoir immédiatement une forme d'excuse anticipée, comme si la pauvreté ou le travail subalterne était par essence digne de respect, comme résultant d'une fatalité sociale devant laquelle on s'incline tout en levant discrètement un poing fraternel. La pauvreté implique vertu et irresponsabilité: ainsi le Pauvre ou le Défavorisé devient-il incarnation d'un mineur en âge auquel il faut tout donner (verbalement) et tout pardonner.
Je trouve fascinant que cette perception s'étende aux secrétaires d'université. Et je ne fais ici qu'exposer ma perplexité.
"quiconque fait un travail mal payé et/ou inintéressant est en droit ou en devoir de mal le faire"
P'tain alors ca, ca, c'est du concept de la mort-qui-tue.
Excellente reflexion en tout cas. Je me demande si on peux ajouter dans l'equation le principe du "se lever tot pour gagner plus d'argent" cher a notre cher president adore?
Pass'que du coup, est ce que ceux qui se levent plus tot on moins le droit a l'heure (vu que theoriquement ils gagnent plus) que les flemards qui trainent au lit?
Rédigé par : Le Piou | mercredi 25 nov 2009 à 17:14
Oulala, déjà que je ne suis pas sûr du sens de ce que j'écrivais, là j'avoue que tu me plonges dans le brouillard, ami Piou.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 25 nov 2009 à 17:22
Je trouve que votre réflexion sur ce sujet un peu sensible, et qui tient hautement du politiquement correcte, est très habile et intéressante. Il n'est pas aisé d'en parler en évitant des maladresses qui conduiraient à des accusations de condescendance voire même (Dieu nous garde) de fascisme (c'est très à la mode chez les politiquement corrects).
J'ai été caissier l'espace d'un été, et j'avoue que si le travail est en effet inintéressant et mal payé, je m'efforçais de briser un peu la routine en effectuant des tâches qui me sortaient un peu des formules d'usage et du passage de produits. Et quand on est rendu à un certain point d'ennui, rien que le fait de remplir un chèque ou un sac casse un peu le rythme...
Cependant, il ne faut pas négliger que l'on est assez souvent confronté à des personnes qui, loin de considérer cette activité ennuyeuse avec respect, montraient davantage de la condescendance voire de l'irrespect total. Trop de clients usent et abusent de la règle "Le client est roi", ce qui peut exaspérer une caissière en fin de journée. Ce qui peut expliquer le renversement de situation envers le client aimable que vous sembliez être.
Mais il est certain que la caissière était en tort, car son travail est de satisfaire le client, même si Monoprix n'est pas un magasin d'habitués, et que donc les règles peuvent être plus souples sur ce sujet.
Rédigé par : Spiroid | mercredi 25 nov 2009 à 18:00
« Je passe en caisse, je suis chargé, mes doigts transis glissent sur les sacs en plastique »
Le problème est-il le professionnalisme de la caissière ou la contradiction de l’acheteur anthropopotame soucieux du l'état et du devenir de la planète et qui va faire ses courses les mains dans les poches sans son sac à provisions. S’il en avait été équipé, il n’aurait point eu besoin de solliciter les doigts transis la caissière pour avoir des sacs en plastique qui ont probablement fini quelques minutes plus tard au fond d'une poubelle.
http://www.mescoursespourlaplanete.com/Produits/Consommation_courante__79/Sac_plastique_17.html
Je sais, bel mai, ce que je vais t’offrir pour ton anniversaire !
Rédigé par : evelyna | samedi 28 nov 2009 à 16:54
Huhu vous vous trompez ma chère, je les mets de côté pour en nourrir quelque tortue marine en manque de méduse :)
Rédigé par : anthropopotame | samedi 28 nov 2009 à 17:26