On entend si souvent parler de moyens alloués à la préservation environnementale que l'on ne se pose plus vraiment la question de savoir ce que ces moyens recouvrent.
Il y a plusieurs exemples dans le film Le Temps des Grâces: un agriculteur déplore qu'on ne verse rien pour l'entretien des haies et des pâturages menacés d'enfrichement. Parallèlement, un autre observe que les bienfaits dispensés par la régénération naturelle des sols étant gratuits, ils sont méprisés, et on leur préfère les engrais chimiques.
Le Plan Ours a quant à lui coûté plusieurs millions d'euros au contribuable, et les programmes de compensation, tel celui de la Caisse des Dépôts, brassent des sommes importantes pour la restauration et l'entretien des milieux.
Le coût de la préservation recouvre trois aspects:
Le premier est que le coût est généré non par la préservation elle-même, mais par la non-destruction. La régénération naturelle ne coûte rien, et les ours n'eussent rien coûté à la collectivité si les chasseurs et les bergers avaient respecté la loi depuis les années 70. Le coût d'entretien des pâturages et des haies repose sur l'idée que la nature, c'est sale, et qu'il faut à tous prix ôter les ronces.
La protection de telle ou telle espèce chassable, telle la perdrix grise, est plombée par le fait que les chasseurs, plutôt que de restreindre leur impact, livrent une bataille féroce aux prédateurs naturels de la perdrix ("L'avenir de la perdrix grise", le Monde du 03 mars 2010):
Dans ce contexte, l'attitude des chasseurs est déterminante pour l'avenir de la perdrix grise. La gestion par quotas des prélèvements cynégétiques, mise en oeuvre à partir du milieu des années 1980, est maintenant bien éprouvée. Mais elle demande beaucoup d'efforts et d'implication. Pour maintenir la démographie de ce gibier à un niveau suffisant, il faut, en hiver, piéger ses prédateurs (renards et corvidés), au printemps, entretenir les haies. Et, surtout, à partir de la mi-mars, procéder au comptage des couples, par des battues à blanc qui rassemblent une cinquantaine de personnes. Le tout pour une chasse automnale... qui n'est pas toujours au rendez-vous.
En clair, la protection de la nature ne coûterait rien s'il ne fallait empêcher qu'on la détruise. Cela ressemble à une lapalissade, et c'en est une: les atteintes à l'environnement sont des violences exercées par des humains bien souvent identifiables, qui devraient intégrer le coût général induit par les délinquances diverses, la désobéissance civile.
Le deuxième aspect est la question de la financiarisation: la nature devient l'affaire de tous dès lors qu'elle permet de créer de la valeur ajoutée. C'est pourquoi les programmes de préservation voient leurs tarifs s'envoler: la "gestion" de la faune, avec marquage, suivi, observation, comptage, coûte cher, évidemment, moins cependant que les projets pharaoniques de "restauration" au bulldozer. Dans les Pyrénées, plus de 80% des moyens alloués au programme de réintroduction des ours ont été investis dans les mesures d'aide au pastoralisme: ouverture de pistes, subventions, mise à disposition d'hélicoptère, etc. Il est donc essentiel de comprendre que le coût de la préservation ne signifie que l'on ouvre un compte en banque à un écosystème, mais que l'on verse des salaires, des émoluments, que l'on loue du matériel, etc., et cela ne constitue pas exactement un cycle naturel. Il s'agit encore et toujours de marché du travail humain.
Le troisième aspect est la question foncière. Une aire protégée, c'est un territoire qui est retiré du marché foncier, qui ne peut faire l'objet de transformation, et dont la rentabilité ne saurait être qu'indirecte. Les maires français voient d'un mauvais oeil l'injonction par l'Etat de classer des terres parmi les zones inconstructibles: on éloigne ainsi des administrés potentiels, sans parler des implantations industrielles qui eussent rapporté de l'argent. Evidemment, on peut considérer que le destin manifeste de la surface terrestre est d'être approprié par les humains, que la planète entière devrait faire l'objet d'un cadastre, et que la totalité des ressources naturelles ont pour fin d'intégrer notre marché de consommation, aux dépens des autres espèces.
Mais on pourrait réfléchir différemment. Observons le fonctionnement d'un Musée comme le Louvre. Il coûte davantage qu'il ne rapporte, occupe un large espace dans le foncier parisien, immobilise des oeuvres qui pourraient réintégrer le marché de l'art, rapportant ainsi beaucoup d'argent à l'Etat. Pourtant, personne ne met en cause l'existence du Louvre et ce qu'il contient. Mais la Joconde aide-t-elle à lutter contre le réchauffement climatique ? Le Laocoon a-t-il déjà nourri quelqu'un ? Chacun est convaincu que le maintien du fonctionnement des systèmes naturels est nécessaire à notre survie. Mais quand il s'agit de notre petite économie, de notre petite activité, de nos petits impôts et taxes, alors on recule. Ainsi la nature est-elle grignotée par ces humains qui, pris individuellement, sont pénétrés de l'importance qu'il y a à conserver des températures acceptables, un taux adéquat d'oxygène, les chaînes trophiques, etc.
Ce que je veux suggérer, c'est que la nature ne coûte rien. Elle est gratuite, de même que les services qu'elle nous rend. L'argent ou l'investissement financier dont on parle est généré par les humains: par le coût de la gestion, de la surveillance, de l'entretien; par le désir naïf de préserver la nature comme s'il s'agissait d'un jardin où l'on doit éliminer les mauvaises herbes, les invasifs; par l'idée qu'un élevage de crevette génère des recettes que le maintien d'une mangrove ne fournira pas.
Tant que cette vision prédominera, tant qu'on fera basculer dans la colonne "protection de l'environnement" des montants qui intègrent de fait des activités humaines, la préservation du monde naturel marquera le pas.
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