Cette note fait suite à
http://anthropopotamie.typepad.fr/anthropopotame/2010/03/sur-la-méthode-anthropologique.html
L’anthropologue se vaut, dans son enquête, d’un certain nombre de concepts stabilisés qui l’aident à mettre en perspective des situations a priori dissemblables. C’est l’usage des mêmes instruments d’un terrain à l’autre qui permet d’harmoniser les analyses et donc les résultats de ses enquêtes.
¡ La Communauté ou groupe ethnique : Pour Max Weber (1919), la communalisation se fonde sur le sentiment subjectif des participants d’appartenir à une même communauté. La communalisation est donc avant tout une relation sociale basée sur une conscience collective qui génère de la solidarité : « Nous appellerons groupes ethniques, quand ils ne représentent pas des groupes de parentage, ces groupes humains qui nourrissent une croyance subjective en une communauté d’origine fondée sur les similitudes de l’habitus extérieur. » Ce concept sera réactualisé par Danielle Juteau (1999) à propos des minorités ethniques en mettant l’accent sur la dimension évolutive et subjective du sentiment d’appartenance communautaire ainsi que sur le rapport de domination qui oriente les relations ethniques. Elle considère que l’ethnicité est le résultat d’un rapport inégalitaire, producteur de frontières qui séparent les dominants des dominés. Afin de dépasser le caractère fixiste de telles définitions, Carlsson (2002) propose quant à lui une approche plus dynamique : “Communities are elusive and constantly changing. A community is not a static, isolated group of people. Rather, it is more useful to think of communities as multidimensional, cross-scale, social-political units or networks changing through time.” Notons que la communauté, comme concept, ne se confond pas avec l’unité administrative résultant de la mobilisation sociale suscitée par les missionnaires de la Théologie de la Libération au Brésil ou au Pérou.
¡ La Différenciation ethnique : Creusant le sillon déjà tracé par Max Weber, le courant interactionniste représenté par Fredrik Barth (1969) considère que les groupes ethniques n’existent que les uns par rapport aux autres et que l’identité n’existe pas en soi, mais d’abord pour soi, la conscience de soi devenant conscience des autres. C’est donc bien dans la confrontation avec l’Autre, avec l’étranger que se constitue l’identité. Les cultures évolueraient donc, non à partir d’un noyau central, mais par les marges, par les zones de contact, où cristalliseraient les conflits sans pour autant écarter les innovations.
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La Consanguinité et les relations d’Affinité ou
d’alliance : si la parenté constitue l’unité sociale élémentaire, dont les
liens sont motivés par la consanguinité, il faut toutefois appréhender ce qui
contribue à élargir ce groupe social de base : le mariage, le compérage,
les amitiés électives, et
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Le Capital social est un concept proposé par
Bourdieu dans une note séminale publiée en 1980. Il envisageait le capital
social comme l’ensemble des relations (familiales, amicales, professionnelles)
dont pouvait bénéficier un être humain depuis sa naissance et tout au long de
sa vie. Ce concept venait à l’appui de sa thèse portant sur la reproduction des
élites. Il sera repris par Putnam dans un article intitulé « Bowling
alone : America’s declining social capital » (1995) où l’auteur
envisageait ce capital comme l’ensemble des liens tissés par un individu au
sein de la société qui l’abrite, l’appartenance à des clubs, associations, et
sociétés diverses étant le signe d’un lien social fort, garant de
¡ Le Multinaturalisme ou Perspectivisme (Viveiros, 1996 ; Descola, 2005) propose de reconsidérer le système de relations et d’identification humain/non-humain afin de mieux comprendre les cosmologies dites « animistes », comme le sont nombre de populations autochtones amazoniennes. Le Multinaturalisme pose que l’humanité est la condition du sujet, et qu’en conséquence les mondes varient selon les points de vue adoptés : du point de vue du jaguar, l’être humain est le jaguar et selon cette perspective, les hommes sont pour lui des pécaris, le sang équivaut à la bière de manioc, etc. La forme des corps est, plutôt qu’une identité, une fonctionnalité dont on peut éventuellement, comme le font les chamans, changer ou se dévêtir. L’humanité, donc, plutôt qu’une essence, serait une relation, au même titre que le serait la « paternité » (on est père dans la relation avec un fils). Il faut donc considérer que les relations nourries par certaines populations indigènes ne se posent pas en termes d’opposition entre nature et culture, ou nature et société, mais de société à société, et doivent donc être envisagées en termes de relations sociales. Ceci n’exclut nullement que ces relations soient conflictuelles, voire belliqueuses ; mais ce type de relation est à prendre en compte lorsqu’on tient un discours environnementaliste imprégné de dualisme : ces sociétés n’appréhendent pas les choses de cette manière et doivent donc réinterpréter ces formes d’oppositions en termes intelligibles pour elles.
Le binôme Territorialisation/Mémorialisation est un point de passage entre anthropologie et géographie. On posera comme principe qu’un territoire, ses multiples usages, paysages et significations, est structurant pour la population humaine qui se l’approprie. Il est un élément essentiel de la différenciation ethnique évoquée ci-dessus, même s’il n’en est pas l’unique ressort. Comme l’observent Marie-José Jolivet et Philippe Léna (2000) : « Lorsqu’on juxtapose les notions d’identité et de territoire – que ce dernier soit homogène, imbriqué, réticulé, etc. –, on évoque en général un espace communautaire spécifique, à la fois fonctionnel et symbolique, où des pratiques et une mémoire collective construites dans la durée ont permis de définir un « Nous » différencié et un sentiment d’appartenance. » L’approche anthropologique permet d’évaluer le degré d’enracinement ou « d’ancrage » des populations étudiées, qualifiant de « mémorialisation » le fait d’associer spatialité et temporalité. Nous qualifierons de sites « sémiophores » (d’après K. Pomian : « On donnera le nom de « sémiophores » à des objets reconnus dans une société donnée en tant que porteurs de significations ». (apud Bensa 2001 : 12) les lieux permettant d’associer la mémoire et l’espace, tels les cimetières, les lieux-dits, la toponymie, les accidents géologiques, autant d’éléments dont la connaissance révèle l’attachement au lieu que l’on habite, les valeurs qui lui sont associées (permanence, pérennité) et le type d’activités que l’on s’y autorise (question de la stabilité et de la vénalité).
Les "concepts" doivent faire peur puisque personne n'a relevé la bizarrerie de la première phrase : "L’anthropologue se vaut, dans son enquête..."
Au début, j'ai eu peur en lisant ce que vous dites de Weber : pour une communauté, il faut un sentiment communautaire, ce qui est assez comique (tautologique). Mais le reste est intéressant, quoiqu'un peu abstrait.
Rédigé par : Bardamu | lundi 22 mar 2010 à 23:17