En Amazonie, on appelle "panema" la malchance qui s'abat sur le chasseur et lui fait manquer toutes ses prises. Sur le littoral, on parle plutôt de "caipora", ce qu'on peut traduire en français par "guigne".
Les populations caboclas expliquent la panema par différents motifs, la plupart liés au sang. Le chasseur peut avoir enfreint un interdit, comme d'avoir tiré sur le premier ou le dernier animal d'une bande - pécari ou singe hurleur - ces animaux de tête ou de queue étant parfois le Père du gibier, qui mène ses troupeaux ou les guide par l'arrière. Il peut aussi avoir chassé plus que de raison. Il peut avoir omis d'offrir, à la lisière de la forêt, une pincée de tabac ou un foulard imprégné de parfum pour le Curupira ou quelqu'autre esprit des lieux.
L'interdit peut également avoir été enfreint à domicile: le chasseur a fait l'amour à sa femme avant de partir en chasse, ou son épouse a manipulé son fusil alors qu'elle avait ses règles, ou bien c'est elle qui a rangé les vêtements de chasse, et l'odeur de la maison les a imprégnés.
Femme et chasse font rarement bon ménage: aller en forêt signifie s'ensauvager, et ce qui renvoie au cadre social humain éloigne le gibier; mais le sang versé par l'épouse a des effets bien plus puissants. Lévi-Strauss explique cet interdit quasi-universel par la conjonction qui risque d'en résulter: sang menstruel + sang versé égale conjonction négative qui ne saurait mener qu'au malheur et à l'impossibilité de chasser.
L'épouse a donc un double statut: elle incarne l'ordre social, l'ordre du domestique, et en cela s'oppose au monde naturel ; mais en tant qu'elle verse mensuellement du sang, qu'elle perd du sang par un orifice de son corps, elle est aussi un être à mi-chemin du monde sauvage, un être au corps ouvert par où s'échappent mais aussi s'infiltrent tous les dangers liés au désordre du monde, à son équilibre précaire.
Pour se délivrer de la panema, le chasseur devra faire abstinence ou se soumettre à un traitement local - bain de plantes, fumigations de tabac, prières, etc.
Si je parle de panema aujourd'hui, c'est que j'ai le sentiment très net d'en avoir été frappé. Arrivé en retard à l'audition d'hier (j'avais mal noté l'heure), j'ai parlé de mon projet comme un poulet égorgé à l'instant et qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Au lieu de paroles, des flots de sang. Au lieu de réponses aux questions, des imprécations. Sorti de là par un temps froid et gris, ne voyant aucun pan de ciel ni aucune raison à ma présence ici.
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