A Genève, il est bientôt minuit.
Journée de globe-trotter aujourd'hui, après un passage à Marseille (audition IRD) puis Genève pour une journée d'étude sur l'animal.
Je suis fatigué mais heureux, je ne sais pas pourquoi. L'audition s'est bien passée mais j'ai eu si souvent cette impression que je ne m'y fie plus. Du moins ne pourrai-je pas me reprocher de ne l'avoir pas préparée.
Je suis heureux parce que j'ai débarqué à Genève pour rencontrer des inconnus, nous sommes allés prendre un verre et à présent je suis dans ma chambre calme, épuisé, et je sais que je vais bien dormir.
Sentiment de liberté à suivre mes propres intérêts, à rencontrer des gens dont j'aime les travaux, loin de tout.
Sept heures de train dans la journée tout de même: la liberté se paie...
Une scène mémorable, qui m'a rappelé Vol 714 pour Sydney - la scène où le milliardaire Laszlo Carredas, revenant de sa torpeur, découvre la lave montant au fond du cratère, écarte le capitaine Haddock en s'exclamant "Laissez-moi passer, vous".
Dans le train Marseille-Lyon, j'essayais de dormir, mais un enfant non identifié poussait des couinements à intervalles réguliers. Pensant que ce devait être un bambin de deux ou trois ans, j'ai pris mon mal en patience, adaptant mon sommeil aux réveils brusques de son activité. Mais voici qu'à l'arrivée à Lyon, les gens se pressent dans le couloir, alors que je n'avais que quatre minutes pour attraper ma correspondance. Je découvre alors que mon bourreau a huit ans! J'ai décidé de me frayer un chemin jusqu'à la sortie (les voyageurs qui attendaient de monter empêchaient une poussette de descendre, et nous étions tous bloqués), profitant de mon passage près de l'enfant pour le secouer et pour lui dire "toi tu vas te calmer morveux!!"
Terrible vengeance, et les passagers en demeurèrent scandalisés. Parvenu à la sortie, j'ai exigé d'une voix de stentor que les gens s'écartent et me laissent passer. Je réglais d'un coup mon compte avec tous ceux qui ne laissent pas descendre les passagers, et avec ceux des passagers qui, à peine posé le pied à terre, empilent leurs valises et entravent la sortie.
Evidemment le sentiment d'urgence motivait mon attitude. Soudain vous devenez l'être le plus important de la terre car il vous faut à tout prix attraper votre train.
En y réfléchissant, paisiblement assis dans le tortillard pour Genève (parti avec dix minutes de retard), j'ai déduit de certains détails que l'enfant secoué devait être un handicapé mental. Je me suis rappelé que même les macaques du Japon respectent ceux des leurs qui ont des retards psychiques ou autres tares congénitales. Cela m'a un peu rembruni mais je me suis dit qu'après tout, la non-discrimination devait marcher dans les deux sens: pourquoi ne pas traiter de morveux un gamin qui vous empêche de dormir, qu'il soit handicapé ou non?
Voilà mon histoire. Heureusement personne, parmi les gens du colloque, n'a connu cette face obscure de ma personnalité: tyrannie, absence de considération pour les sentiments d'autrui dès lors que ma sieste est menacée et ma correspondance toute proche.
MàJ 18 mai: cela valait le coup de faire ce détour par Genève. Je vois beaucoup mieux à présent les tendances qui se dessinent dans le microcosme animalier. Le retour fut tranquille, et les Suisses sont d'une gentillesse bien agréable...
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