Votre serviteur n'a pas chômé.
Lundi et mardi, si l'on excepte la journée du lundi consacrée à déprimer et à préparer mollement un powerpoint, je me suis démené sur la voie de l'activisme.
Voyons un peu: lundi soir, Acte 1, je dînais avec un journaliste connu pour ses positions anticapitalistes. Comment, lui demandais-je, pourrions-nous harmoniser nos violons afin que les données que ramènent les scientifiques ne soient pas parasitées en permanence par des contre-feux du type "L'Imposture Neandertalienne" ou "le mythe de l'Ours dans les Pyrénées"?
Parvenus au plat du jour, je lui ai proposé un petit apologue afin que nous comprenions bien nos positions respectives.
"Mon cher, vous m'accorderez que la différence principale entre préservation et destruction est que la première est réversible et l'autre non?
- Certes, cher ami, je vous suis sur ce point.
- En conséquence, si deux groupes d'humains se mettent d'accord pour préserver les mammouths, le groupe qui ne respecte pas l'accord a un impact supérieur à celui qui le respecte.
- Oui, c'est la métaphore du passager clandestin.
- Mais en fin de compte, quand les mammouths disparaissent, les deux groupes sont également affectés.
- Non, car le groupe qui de lui-même a décidé de protéger les mammouths a eu le temps de préparer des alternatives, si bien que la disparition du mammouth ne le prend pas au dépourvu.
- Fort bien, mais et le mammouth? Que faites-vous du mammouth?
- Je m'en fous du mammouth."
Voilà où nous avons commencé à diverger. Moi je me préoccupe aussi du mammouth.
C'est alors que nous entrons dans l'Acte 2: ma participation, mardi, à un séminaire portant sur les savoirs locaux et le partage des bénéfices liés à la biodiversité.
La journée avait commencé par une critique en règle des mécanismes internationaux et des modes de négociation. Mais on sentait la présence, dans le public, de mes interlocuteurs cibles, ceux qui s'offusquent que l'on ne consulte pas les populations locales quand on explore la planète Mars ou les fosses marines.
Fort élégant dans son petit pull violet bleu marine, votre serviteur a tonné haut et fort son soutien au mammouth, porté dans sa démarche par le souvenir de l'apologue exposé la veille. J'ai rappelé les différentes formes d'impacts des activités humaines, et le fait que nous n'étions pas seuls sur terre, qu'il fallait cesser de tout mesurer à notre aune et songer dorénavant à préserver des espèces simplement parce qu'elles ont le droit d'exister.
"J'ai bien conscience que j'expose là une position, et que si l'on me demande pourquoi, rationnellement, il faudrait protéger les tigres, je suis incapable de répondre sinon par le fait que la même question se pose pour l'Albanie, et que les Albanais, interrogés à ce sujet, auraient bien du mal à justifier leur existence sinon par le fait qu'ils existent (je précise que la question se pose pour tous les peuples de tous les pays). Mais je vous demande de reconnaître que ces positions dérivent d'observations, qu'elles sont fondées, et que la base de la discussion est celle-ci: doit-on en permanence rapporter la protection de la nature à de futurs bénéfices pour l'humanité, en se berçant de l'illusion qu'elle n'est qu'une configuration sociale, une création de peuples autochtones ayant façonné des paysages, en bref que la Terre est le produit de notre ingéniosité? Dans ce beau tableau on se demande ce que sont venus faire les dinosaures, sinon d'avoir préparé le terrain à notre apothéose."
Bref, je m'attendais à devoir avaler mon badge, mais les interventions qui ont suivi furent ponctuées de "et comme le disait Anthropopotame...", "et le brave Anthropopotame a montré que..." (reconnaissons qu'il y eut également des "Quoi qu'en dise Anthropopotame...", mais nous n'allons pas chipoter).
Après le séminaire, contrairement à mon habitude, je suis allé prendre un verre avec les organisatrices, en vue de recruter une ethnobotaniste. Assis face à l'une d'elle, j'ai demandé ce qu'elle ferait du 10 au 30 août. "Rien", dit-elle. "Tu viens avec nous sur l'Oyapock." "D'accord".
Et je suis resté jusqu'à la dernière goutte du dernier demi, plutôt apaisé.
Ce post m'a mis de bonne humeur, il est si doux et intelligent...
Rédigé par : Grégoire | mercredi 02 juin 2010 à 10:38
Certes, mais je suis tout de même un féroce malthusien (sauf avec ma propre future progéniture).
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 02 juin 2010 à 10:54