Comme mon état s'aggravait de jour en jour, je suis rentré de la campagne hier soir pour me présenter aux urgences en stomatologie à la Pitié, ce matin.
En fait cela commençait à devenir assez pressant: passé la nuit la tête dans la cuvette des toilettes, réveillé à demi mort ce matin, dans l'incapacité même d'appeler un taxi. J'ai attendu que les nausées s'apaisent puis je suis allé prendre le métro.
Dans le wagon, un jeune homme couvert de tatouages et crucifix gravait consciencieusement son nom sur la vitre. Je lui ai demandé d'arrêter. Inutile de vous retranscrire le dialogue: le jeune homme suggérait que je descende avec lui sur le quai pour qu'il me casse la gueule, qu'il m'apprendrait à vouloir jouer les héros, etc. Je lui ai dit 1) qu'il grave les vitres de sa chambre, pas celles du métro; 2) que qualifier "d'héroïsme" le fait de demander à un gamin d'arrêter de vandaliser le métro me semblait un peu exagéré; 3) que j'allais me présenter aux urgences à l'hôpital et que j'avais donc plus urgent à faire, justement, que de descendre sur le quai pour me battre avec lui. A court d'argument, il est allé grommeler à l'autre bout du wagon.
Tout cela jambes flageolantes et bien près de lui vomir dessus. Il l'a donc échappé belle.
Parvenu à St Marcel, les gens descendus avec moi me félicitent pour mon "acte courageux" - "je voulais lui dire aussi mais je n'ai pas osé" me dit-on. Voilà donc où nous en sommes: réprimander un gamin attardé, lui dire ce qui se fait en société ou pas, est devenu du "courage"... notre société est donc bien mal engagée.
Aux urgences, enfin, j'attends, j'attends mon tour, la main crispée sur mon numéro d'appel, luttant pour ne pas m'évanouir. Après un long moment, le panneau affiche toujours le numéro 52. Je me traîne aux nouvelles: "Oui, me dit l'hôtesse avec un filet de voix, le panneau est cassé, c'est moi qui appelle les numéros". Bref, mon tour était passé depuis un bon moment.
Finalement on me prend en charge, radio, consultation dentaire, puis service stomatologie: vingt fois je raconte mon histoire: "Tout a commencé il y a six semaines quand j'ai eu un abcès à la mâchoire..." J'explique mon traitement (4 cures d'antibiotiques en un mois, tentative d'extraire une vieille racine, surinfection, mal être, désir d'en finir, départ en Amazonie dans dix jours, tout cela). Le premier interne qui me voit me dit "rien à faire avant septembre"; et il me plante là.
Après une demi-heure, un deuxième interne me voit affalé sur le fauteuil de consultation et me demande ce que je fais là. "Eh bien, lui dis-je, tout a commencé il y a six semaines, et patalali et patalala." Il revient avec un professeur: "Eh bien on va vous extraire tout ça!"
L'incroyable soulagement que l'on éprouve quand on rencontre quelqu'un qui connaît son affaire! En vingt minutes, c'était fait, ils ont extrait une racine de 2 cm et une autre d'un seul, et m'ont expliqué les deux erreurs du stomatologue qui m'a opéré il y a un mois: parce qu'il n'arrivait pas à extraire la racine, il a prétendu qu'elle était soudée à l'os, et qu'il valait mieux la laisser (cela après m'avoir poncé et charcuté la mâchoire) ; ensuite, il m'a posé des points de suture en refermant totalement la plaie, ce qui empêchait la cicatrisation interne.
Je suis sorti de là requinqué, amoureux du système de santé français et à nouveau ami de la Terre entière.
Bon courage et bon rétablissement - oui, moi aussi je peux être gentil...
Néanmoins - c'est pas le tout d'être sympa - je ne pense pas que ce soit votre acte dans le métro qui fut qualifié de courageux. Le jeune fait peur pourvu qu'il fasse illusion de sa force. Votre courage a consisté en supposant la solidarité des voyageurs, qui est précisément mise en doute dans certains transports : si je me fais taper, est-ce que les autres laisserons faire ? Dans le doute, la plupart s'abstiennent de réagir - vous avez donc raison de vous inquiéter d'une société qui est incertaine de ses valeurs.
Rédigé par : Bardamu | jeudi 29 juil 2010 à 21:15
donc pas de contre-indication au départ en amazonie ?
je suis bien contente que la situation soit maintenant sous contrôle ...
Rédigé par : Narayan | jeudi 29 juil 2010 à 23:14
Bardamu, je suis entièrement d'accord avec votre analyse. J'ai en effet supposé - peut-être à tort - que d'autres voyageurs interviendraient si le jeune devenait violent.
Narayan, en fait je suis peut-être optimiste: on verra dans cinq jours...
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 30 juil 2010 à 01:46
Votre annecdote du metro m'en rapelle une autre a laquelle j'ai assiste il y a quelques annees. Le rustre n'etait pas un jeune mais un homme avine d'un age indetermine, qui s'est mis a invectiver un eleve de college plonge dans un livre de cours, et a lui tirer le bras en lui demandant de quoi parlait son bouquin. Dans la rame fortement peuplee, c'est une dame agee qui a fini par intimer a l'importun de laisser l'eleve reviser tranquille alors que personne d'autre ne pipait mot. La probabilite de se prendre un coup de villageoise etoilee semblait assez elevee, et n'etant pas tellement plus agee que le collegien je n'aurais surement pas ose prendre ce type a parti. Heureusement que cette dame n'a pas eu autant de scrupules!
Prompt retablissement.
Rédigé par : Aisling | mardi 03 août 2010 à 23:03