Lundi 16 août
Rendez-vous est pris avec Bigo pour aller visiter son abattis. Avant le départ, il m’appelle : sur son ponton un énorme dourado nous attend, les nageoires coupées, agonisant. Il doit faire entre sept et huit kilos, je demande à Mariza de le préparer au barbecue. Elle me demande d’aller affûter ma machette chez Vaq, puis découpe, retire les filets, tranche, met à mariner.
C. et V. traversent la rivière pour visiter la roça de Bigo.
Sur le perron de la base, les visiteurs passent, un vieux couple venu de Nova Uniao ; pour suivre la tradition, nous leur offrons des verres d’eau. D. joue avec un groupe d’enfants. Puis E., D. et moi accompagnons Olga visiter la casa de farinha de son père. Elle nous explique le processus de fabrication de la farine – la distinction ici vient du poelon qui n’est pas circulaire, mais qui est une plaque de métal récupérée d’une ancienne station service, bordée de quatre planches épaisses.
J’essaye de la faire parler des différentes maladies : se plaint des remèdes d’aujourd’hui qui guérissent les maux mais détruisent l’estomac ou le foie… Comme les remèdes caseiros étaient plus efficaces, en particulier la folha de quina contre les fièvres.
De là nous en venons au mau olhado de bicho, qui ne peut être guéri que par le curador/benzedor. Seu Dudu, qui habite Calçoene aujourd’hui, faisait cet office autrefois. Elle me parle alors du moment de sa vie où son mari était malade d’un énorme kyste au visage, om elle était sans emploi, où son mari avait brisé tout le mobilier car on l’avait fait boire un peu de cachaça, où la porcelaine se fendait d’elle-même, où elle était désespérée car devait assumer les besoins du foyer alors même qu’elle devait aussi s’occuper de ses enfants à Calçoene : un vieil homme surnommé Indio avait fait appel à un Pai de Santo bahianais, résidant à Calçoene, qui avait donné des bains à sa maison : la félicité était alors revenue à son foyer ; ces maux étaient provoqués par la jalousie. Puis je lui demande de me parler de l’or enfoui et de ce qu’implique le fait qu’aient vécu, ici-même, des hommes assoiffés de richesse, dont bc se trouvent enterrés dans l’ancien cimetière de Cantagalo (rectif : Senegalo)
Note sur les lieux : en contrebas se trouvent igarapé do Holanda (noter présence récente d’un Vandico, en fait Vandick, Van Dick ? le Hollandais en question ?), réunit à igarapé do Olimpio et igarapé Corró (qui donne sur monte corro). En amont deux cachoeiras : cachoeira do laguinho et cachoeira rasa, la dernière avant Carnot ; en contrebas deux vilas : vila Tomazia et Vila Uniao. Ils ne connaissent pas l’origine des noms. Se demander si ont le sentiment d’être en rupture avec ceux qui les précédaient ?
Plus tard, je vais chez Domingos. Je lui apporte du vin français, un cahier de dessin et des crayons de couleur. Il a rapporté de sa roça des bananes, un ananas, et un pécari assez jeune qu’il dépèce devant moi. Le pécari est plein de tiques qui montent sur ma jambe tandis que je m’assois sur un tronc pour le regarder faire. Je lui dis que tout le monde dit que c’est lui qui en sait le plus sur le territoire – « Ils disent cela parce qu’ils veulent se débarrasser sur moi des questions sur ça ». Il est toujours tranquille, réfléchit toujours avant de parler. Il évoque l’expédition mentionnée par Bigo, expédition au Monte Corró (et non Monte Olimpio). Ce sont les mêmes qui ont essayé de camper sur la roça d’Olga sans lui demander son avis ; ce sont des vereadores appelés à la rescousse qui les ont délogés.
Il a appris à arpenter le territoire par des vieux qui sont morts maintenant – Joao Barbosa et deux autres. Aujourd’hui c’est lui qui enseigne aux jeunes, Luis, Tico, José Amancio. Noter que Tico est parti en ville car sa fille entrait en quinta série, il a toujours sa maison ici mais ne semble pas vouloir revenir. Domingos s’est perdu une fois et a passé la nuit en forêt ; ce qui lui fait peur ce sont les serpents et les insectes, pas les jaguars ni les visagens. Noter que Bigo aussi me dit qu’il rentre toujours dormir chez lui, ce qui signifie que leurs expéditions de chasse ne doivent guère aller au-delà de ce qu’un homme peut parcourir en une journée (aller-retour), soit quinze à vingt kilomètres.
Nous discutons du programme de mardi et mercredi, puisque jeudi il repart à Calçoene pour quatre jours. Nous irons à sa roça et à cachoeira do laguinho demain, et à Larangeiras (son ancienne roça, sur le chemin de Tralhoto) après demain ; pour l’embouchure, il prêtera son moteur à Luiz, et nous irons dimanche.
Il me demande, après une pause, si je compte revenir un jour. Et je prends conscience de l’importance des visites et des retours pour ces gens. Lorsque nous passons chez Joao pour l’inviter à dîner, il nous dit qu’il nous apprécie parce que nous ne sommes pas acanhados (intimidés) : dès le premier soir nous avons accepté leur invitation à dîner, nous ne faisons pas de manières ; quant à ce qui se dit sur moi, le seul souvenir impérissable est que je suis le Blanc qui a tenu le coup jusqu’au lac Tralhoto – « C’est toi qui a marché jusqu’au Tralhoto ? » ; et Marisa : « Falam que pensavam que você nao daria conta, mas você deu conta » (ils pensaient que tu n’y arriverais pas, mais tu y es arrivé). Cela valait donc le coup de faire cette balade il y a trois ans, même si cela m'a pris une journée sur les deux dont je disposais. Sans cela ils m'auraient complètement oublié et le travail préliminaire de prise de contact aurait été à refaire.
Les gens sont tellement adorables et généreux que c’en est incroyable. C’est un des rares endroits où la redistribution est pratiquée de manière si intense. Le pécari de Domingos a été partagé en quatre : un quart pour nous, un pour Hermogenes, et les autres je ne sais. Domingos m’a dit aussi de cueillir une courge dans son jardin, bref nous débordons de nourriture et avons à peine entamé nos réserves.
Les filles jouent avec les enfants, appliquent les questionnaires, et moi je vais discuter de ci de là, demandant confirmation pour des points en suspens. Nous avons beaucoup discuté entre nous du cas de Rosa, tante de Mariza, vigile de notre base, qui contrairement aux autres femmes aime déambuler en forêt, travailler aux champs, et qui déteste répondre aux questions, même si elle intervient volontiers dans les conversations.
Je me demande si nous ne trouvons pas devant une société matriarcale. Les femmes sont ici plus nombreuses que les hommes, et on sent bien que ceux-ci hésitent à se mêler à leurs conversations. Ce sont des femmes qu’on voit sur les pas de porte, ce sont elles qui prennent, semble-t-il, les grandes décisions. Elles sont celles qui organisent les fêtes, qui boivent et dansent en ces occasions, elles qui prennent la décision de quitter leur mari quand il boit trop (rectif: le foutent à la porte).
J’ai passé du temps, assis à l’arrière de la base avec Marisa et Rosa. Marisa prend de plus en plus ses aises, mais elle le fait avec grâce, me faisant des remarques sur mes cigarettes. Nous parlons des ruptures et des douleurs qu’elles provoquent. Les conversations, par ailleurs, sont plaisantes car elles vont à un train de sénateur.
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