20 août : il pleut depuis deux jours, V. et D. sont bloquées ici alors qu’elles devraient aller à Calçoene pour faire le tour des familles de Cunani installées là-bas.
De mon côté je sens pointer la dengue ou la malaria : accès de fièvre épouvantable hier soir, suées, lit trempé, j’ai fini par dormir dans le hamac, le tout avec oppression de la poitrine, démangeaisons de toute sorte, et un étrange bubon.
Les filles sont réparties dans la Vila, appliquant des questionnaires, assistant au traitement du poisson…
Hier journée tranquille, commencée au poste de santé où Edna, épouse de Bigó, m’a retiré mon point de suture à la mâchoire à l’aide d’un bistouri. L’infection avait repris depuis trois jours. Puis nous avons laissé les gens défiler dans la maison : Joao, Domingos, Luis (dit China) pour les hommes, et Velha, Rosa, Mariza, pour les femmes, sans compter les enfants follement épris de V.
Velha prend ses aises ici, elle nous taxe des paquets de cigarette ; nous évoquons l’épisode du poisson : « j’ai bien vu que cela t’a choqué » me dit-elle.
Puis nous parlons des fêtes : la Sao Benedito est organisée par les hommes, le festeiro étant toujours Sousa (c’est un surnom qui n’a rien à voir avec le nom de l’individu, qui est Manuel dos Santos Alves). La Santa Maria est organisée par les femmes, avec généralement certaines davantage en charge que les autres – par exemple cette année, c’est la fille d’Olga Jocicleide, Rosa et Meiri ( ?).
La fête fonctionne grâce aux dons des anciens de Cunani vivant à Calçoene : le « santo » (festeiro) passe de maison en maison et recueille les dons en nature : beurre, œufs, farine, qui permettront de confectionner des gâteaux et autres plats. Ces plats seront vendus à l’échoppe du restaurant le jour de la fête (ce qu’ils appellent « leilão ») – je n’ai pas bien compris si c’était un achat groupé, purement symbolique, avec distribution gratuite, ou si les parts étaient vendues au détail. Le bénéfice sera consacré à l’entretien de l’église et à l’achat d’ornements pour le saint.
Par ailleurs, viennent les promesses. Ainsi Ubirajara de Vila Tomásia a-t-il promis à Sao Benedito un buffle annuel, et il tient ponctuellement sa promesse.
J’ai essayé de lancer le débat sur les rapports hommes femmes par des blagues machistes suscitant la solidarité masculine : pas un énorme succès, surtout vis-à-vis de Camarão (Irao), ami de Velha, qui se tient toujours en retrait de sa femme.
Les femmes occupent ici une place prépondérante, et s’il n’y a pas de leader au sens propre, on sent bien que ce sont elles qui prennent les décisions (cf cartes mentales, les maisons sont désignées par le nom de la maîtresse de maison). Les habitants passent énormément de temps à discuter sur le pas des maisons ou sous les bancs situés sous l’arbre qui surplombe le pont. C’est un arbre ornemental dont ils ignorent le nom, arbre qu’on trouve en ville et qui fait des fleurs mauves. Les générations et les sexes sont mélangés, mais il y a toujours une majorité de femmes.
Entre eux, les gens se taquinent gentiment ; Domingos est souvent l’objet d’agaceries à cause de sa vie aventureuse ; il répond toujours avec une simplicité douce, un petit sourire aux lèvres ; comme s’il était considéré comme l’oncle prodigue ayant fait des folies et revenu plein de sagesse.
ECOLE
Une question à creuser est celle de l’école : encore une fois c’est un problème central ici. Beaucoup d’informations contradictoires circulent à ce sujet. D’un côté, on parle de l’internat presque mythique qui se trouvait près de l’embouchure – mais on ne m’a jamais dit « untel y est allé ». Cet internat a dû fermer à peu près au moment où la BR a été ouverte, mais à qui était-il destiné ? Il n’était pas tenu par des religieux, semble-t-il.
Puis vient l’école de Cunani, dont on me dit qu’au temps de la splendeur de la ville elle comptait des centaines d’élèves (55 en quinta série selon Hermogénes). Or le même Hermogénes nous apprend qu’il a arrêté l’école après la quinta série car il aurait dû poursuivre ses études à Calçoene… Cela a-t-il un sens d’obliger des dizaines d’élèves à se déplacer au moment où Cunani est plus peuplé que Calçoene ? Car là encore, Hermogénes parle du début des années 70.
Dernière chose : j’apprends par C. que Marilza (née en 1949 au retiro Ricardo, sœur de Domingos et Maria José, épouse d’Osiris) a évoqué le temps où ses parents ont quitté leur roça en amont du fleuve pour s’implanter à Cunani parce qu’on y avait ouvert une école. On se trouverait alors dans un cas de figure similaire à celui des Galibi Marworno, regroupés à Kumarumã en 1936 : les habitants de la région, dans la première moitié du siècle, aurait ainsi vécu en noyaux isolés tout au long du fleuve Cunani, et les roças que les différentes familles actuelles cultivent actuellement résulteraient de ces anciennes implantations.
Donc la Vila de Cunani serait en réalité un lieu dont l’occupation aurait été continue, mais à chaque fois avec des peuplements différents et pour des motifs différents…
Question du quilombo : une chose m’a rendu perplexe, c’est le surnom de Mariza, « Nega »… elle est moins noire que bien d’autres, sa tante Rosa par exemple, manifestement d’ascendance amérindienne. (Noter que la mère de Marisa, Marilza, a eu neuf enfants de trois pères différents, et que physiquement elle ressemble fort à une cabocla ou cafuza).
Question du caranguejo. Les gens n’en sont pas tellement friands, on me dit qu’on en mange deux, maximum 4 d’affilée. La saison commencera en septembre. Joao Amancio raconte que quand il était enfant il y avait tant de crabes qu’on leur marchait dessus (années 70 encore). Parle de gens qui viennent de Calçoene et repartent avec 600 crabes, des dizaines de sacs.
Joao amancio, enfin, mari de rosa. Plusieurs jours qu’il est rentré de Macapa, n’était jamais passé nous voir ni signalé sa présence. Il s’y était rendu car il est guarda parque occasionnel, et il s’y est rendu pour une réunion avec Ricardo et des instances de l’Etat d’Amapa pour régler la question de leur statut : l’ICM veut pouvoir recruter des guarda parques issus des communautés locales, en leur garantissant la sécurité de l’emploi. L’Etat s’y oppose, arguant du fait qu’il faut en passer par un concours administratif, laissant ainsi la porte ouverte à des candidats issus de tout le Brésil. La question n’est pas résolue. Il a également participé à la formation de brigadista. Notre premier entretien, ce matin, n’a pas donné lieu à une invitation à entrer : E. et moi sommes restés plantés devant son pas de porte, première fois que nous nous trouvons dans cette situation.
Vingt minutes plus tard, alors que domingos est venu me rejoindre, le voilà qui apparaît à son tour sur le perron de la base. C’est là qu’il a parlé des caranguejos, de ses yeux malades qui lui donnent mal au crâne (cataracte). Nous avons aussi abordé la question des maisons fournies dans le cadre du programme « casa para todos », auxquelles ils aspirent. Les maisons seraient en bois avec des fondations en ciment. Mais domingos explique que comme tous les programmes décentralisés du gouvernement, entre la libération des fonds et l’arrivée effective du matériau sur place, il ne reste plus grand-chose. Leur vie se passe ainsi à attendre des soutiens, des aides, suivant l’actualité des différents programmes et aspirant à y correspondre. Pas étonnant qu’ils soient parfois pris de lassitude…
17h : Conversation avec Bigo sur son ponton :
Confirme l’éparpillement des familles en amont du fleuve.
Internat du temps de Janari (1945) : ouvert par Raul et sa femme Estelita de Belém (internato Sao Joaquim). Fini dès 1960 ??? avec l’ouverture de l’école à Cunani ? C’était du temps de leur parents, surtout leurs mères (était-ce pour jeunes filles ?).
Les Baianos : fugidos da Bahia, entraram pelo cassiporé, varraram até aqui pelo ramal. “Me da essa mulher aqui que te entrego amanhã!” Eles eram perseguidos, eram fugidos, brigavam entre si. Existe Rio Benvenuto que é nome de um deles que foi morto e enterrado ao longo desse rio.
Existe um cemitério deles, atras da casa de domingos. Os jazidos sao de concreto. Agora o outro cemitério nao tem marca nenhuma, se chama Senegalo (e nao Cantagalo)...
Onde eles acabaram? Eles foram capturados, ou morreram, ou foram embora... Personne ne semble songer qu’ils auraient pu laisser une descendance...
Il y a manifestement rupture temporelle, puisque certains noms de lieu ne leur parlent pas du tout (voir exemple plus bas) ; cf la formule de Clément Rosset : « ça ne leur dit rien ».
Bigo me parle d’une Saramaka venue ici ( ?) ou à la danse de laquelle il aurait assisté : grelots autour des bras des jambes et du buste : il mime la danse et rit.
Son nom est Rodivaldo, mais personne ne le connaît sous ce nom : il a demandé à Calçoene s’il pouvait le changer pour Bigo. Trois frères ici : lui-même, Joao Amancio, et Cuncun ( ?), un frère à Cayenne, et toutes ses sœurs sont à Calçoene.
Un français est venu ici qui cherchait la tombe de sa mère, c'était un Blanc. Je demande: « Tiens, n’est-ce pas pour cela qu’il y a igarapé da francesa ? » Ils réfléchissent et s’accordent pour dire qu’en effet il doit bien y avoir un rapport quelconque entre le nom de cet igarapé et la présence d’une française.
Ils me parlent des français venus ici battre monnaie. Je trouve étrange qu’on n’en trouve nulle part. Será que sumiu, foi enterrado esse dinheiro ?? Enterrado certamente foi, já que tiveram que fugir sem levar nada! Donc le sol regorge de richesses enterrées par les français... Mais bizarrement, maintenant que je sais que le cimetière s’appelait Senegalo, je me rends compte qu’il y a plus de vestiges africains qu’autre chose...
Dernière chose, concernant la fazenda de Barbosa : il s’est installé ici quand la terre n’appartenait à personne. Son terrain allait de la mer au Rio Novo. Il était approvisionné par hydravion, ainsi que l’internat. Il avait une autre fazenda à Marajo. E além disso, ele traficava !! Como assim! Ele tinha um submarinho que boiava com hora marcada, carregava todo tipo de material pra Alemanha. Je tente de savoir ce qu’il trafiquait: après un moment, Bigó me dit qu’il trafiquait du whisky...
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