Votre serviteur poursuit sa tournée des Urgences à travers le pays.
Après Cayenne et la Pitié Salpêtrière (stomatologie), j'ai pu tester deux autres centres, cette fois en tant qu'accompagnateur.
Le premier, il y a quinze jours, était le CHD les Oudairies, la Roche sur Yon, entre 3 et 6 heures du matin. Lumières tamisées, ambiance feutrée, service agréable si l'on excepte le coup de feu à l'heure de la sortie des discothèques, personnel calme et doux, et surtout, les accompagnateurs peuvent accéder à la salle des pas perdu de l'hôpital, à sa machine à café et aux plantes qui la bordent. Sortir fumer sur le parvis un café chaud à la main par une nuit de juillet est une expérience qui vaut la peine d'être tentée. Seul bémol: les gens fréquentant les urgences ne sont pas de très bons causeurs, leur centre de préoccupation étant l'état de leur scooter ou les moyens de rentrer chez leurs parents alors que leur voiture est dans le fossé ou que leur chauffeur est sur un brancard.
Le deuxième, cette nuit: les Urgences Générales de la Pitié Salpêtrière, de 10h du soir à 6h du matin. Pas de machine à café aisément accessible (il faut la chercher longtemps), un hall franchement miteux, le paysage un peu abîmé par tous ces panneaux guidant les ambulances, mais, point très positif, on ne s'ennuie pas une seconde! Gens égorgés ou poignardés, attaques cérébrales, sans parler des allées et venues de CRS et de sapeurs pompiers, une salle d'attente où l'on cause, où l'on échange les cancans du jour, un personnel tonitruant et gouailleur... Beaucoup d'aspects positifs, donc, mais quelques points noirs:
Le même personnel a dû subir des formations de garçons de café parisiens ("On dit bonjour, Monsieur! On dit s'il vous plaît, Madame!"), et les internes sont timides, soumis à l'arbitraire de vieilles infirmières acariâtres ou à des infirmiers psychopathes. Et le service est lent, lent, lent. Il m'est d'ailleurs venu à l'esprit (mais les Français sont râleurs et coupeurs de têtes) que si la personne que j'accompagnais avait été ministre, ou simple Secrétaire d'Etat, le bilan sanguin serait remonté beaucoup plus rapidement.
Mais je me suis tout de même distrait en parlant longuement d'Agatha Christie avec une jeune femme ressemblant à Louise Brooks et qui les avait tous lus. Ses lectures différaient sensiblement des miennes, je dois le reconnaître: elle était sensible au caractère surnaturel de certaines histoires qui m'avait complètement échappé. Une fois guérie de sa non-embolie pulmonaire, hélas, elle est rentrée chez elle.
Puis, comme le dirait Flaubert, vers cinq heures du matin, il y eut comme une apparition! Je ne parle pas du couple d'ivrognes qui se disputait un paquet de cigarettes, mais bien de la belle sapeure-pompière qui les accompagnait! Grande, sculpturale, admirable, moulée dans son uniforme, tenant son carnet dans une pose athlétique, elle ne dura malheureusement que ce que durent les roses: le temps d'un débarquer d'ivrognes/retour dans la camionnette. Mais ma rétine fut durablement impressionnée, et à présent (onze heures du matin) elle l'est encore.
Si l'on compare les urgences en stomatologie et les urgences générales de la Pitié, on peut observer cette différence que dans ces dernières, les internes sont presque tous des femmes. Or j'ai remarqué qu'une interne avait beaucoup moins de scrupules à déclarer "je vais consulter ma chef" que les internes hommes. Ceux-ci, lorsqu'ils ont affaire à un cas qu'ils ne comprennent pas, font mine de n'avoir rien vu ni entendu, s'éloignent en catimini et vaquent à d'autres occupations. Ils se sentiraient humiliés de dire simplement: "je vais consulter le chef de service", et préfèrent donc vous planter là, laissant faire le destin. La même chose m'était arrivée à Cayenne où l'interne de garde (dermatologue de spécialité) m'avait laissé sept heures agoniser car je n'arrivais pas à lui expliquer ce que j'avais (trop de sang dans la bouche); c'est le médecin de nuit, femme splendide, qui m'avait pris en charge une fois le changement d'équipe effectué.
Voilà voilà! J'espère que ces quelques informations vous seront utiles à l'heure de choisir vos Urgences, et n'hésitez pas à compléter ces observations par des remarques de votre crû!
"Il m'est d'ailleurs venu à l'esprit (mais les Français sont râleurs et coupeurs de têtes) que si la personne que j'accompagnais avait été ministre, ou simple Secrétaire d'Etat, le bilan sanguin serait remonté beaucoup plus rapidement."
Si c'avait été le cas, la personne qui vous accompagnait vous aurait dit d'aller aux urgences du Val-de-Grace, où vous auriez été pris en charge avec tous les égards dûs à votre rang (ou du moins à celui de votre accompagnateur) ... n'oubliez pas que la France conserve une culture quelque peu royale. Pour le vulgum pecus, c'est autre chose, et les urgences de la Pitié ne sont effectivement pas les plus sympathiques de Paris.
Si cela devait se reproduire, je vous recommande les urgences de Pompidou : les personnels sont sensiblement les mêmes, mais le cadre est infiniment plus agréable. Et en cas d'hospitalisation subséquente, vous bénéficierez de locaux presque luxueux et plutôt bien conçus tant pour les patients hospitalisés que pour leurs soignants.
Intéressant ce que vous dites sur les genres : ça mériterait une étude... le point positif (si vos observations furent pertinentes) étant que ces professions sont en voie de féminisation accélérée ;-)
Rédigé par : Moktarama | dimanche 08 août 2010 à 12:36
Merci pour l'info ;)
Mais attention: c'était moi l'accompagnateur. Etant douillet, la douleur réduit singulièrement mes facultés d'observations et ma capacité à être primesautier...
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 08 août 2010 à 14:10
Histoire de te retrouver un peu avec Louise Brooks, ouvre donc la boite de Pandore :
http://www.dailymotion.com/video/x1kh3z_omd-pandoras-box_music
Rédigé par : Neuromancien | dimanche 08 août 2010 à 14:36
Ce doit être de saison, je me suis ouvert le tibia hier en échouant au saut de muret - je soupçonne un déficit chronique du releveur droit parce que franchement c'était pas haut - et j'ai dû me résoudre à aller aux urgences de la sous-préfecture où j'étais. D'habitude je me fais soigné par des médecins de la famille, ça va vite et on me case rapidement s'il faut voir un spécialiste. Là j'ai dû patienter trois bonnes heures pour me faire recoudre - j'angoissais mais on ne sent rien, quelle déception ! Cela m'a rappeler un film roumain, la Mort de Dante Lazarescu où un vieux est baladé de service en service sans rien comprendre de son sort. Salle d'attente exigüe, les patients demeurent suffisamment longtemps les mêmes pour qu'on se demande si l'attente n'a pas un but thérapeutique, on entend des cris de l'autre côté de la porte coulissante, des brancards passent emmenant des vieillards grabataires, et puis cette douleur lancinante qui me défendait de me détendre, de causer - de chercher autre chose dans la mise à l'épreuve de ma patience que l'angoisse de la résoudre. Littéralement, attendre est fatiguant !
Rédigé par : Bardamu | mardi 10 août 2010 à 11:17