31 août, aéroport de Cayenne. L’avion pour Paris décolle dans cinq heures, mais j’ai dû quitter l’hôtel à midi. Longuement discuté hier avec Kelly hier, dans un bar chinois de la rue Molé. Ses alternances de dépression, sa satisfaction présente : ami de la PF, et Ricardo et Ivan qui sont de super coéquipiers au Parc National Cap Orange. Elle me dit que le départ de Glaucia fut un soulagement pour tout le monde, tellement elle était bougonne, indifférente à tout.
Mais remontons en arrière. Le 28, malgré l’atmosphère tendue, nous avons organisé une fête de despedida à la base. Les gens sont arrivés à partir de sept heures, bien habillés. Joao nous avait apporté quatre caisses de bière (la plupart éventrées pendant le voyage en moto). Beaucoup d’alcool, de danse (brega, forro, boléro, tango, salsa…) les hommes d’un côté les femmes de l’autre. Marcos ivre a fait de grandes déclarations à C. et E., tandis qu’il me confiait, sous le sceau du secret, les frasques (plutôt anodines) de D. et V. à Calçoene. « Tu es le chef, tu dois savoir ».
J’ai dansé un tango avec C. qui s’en est très bien sortie. Deux ou trois autres danses, la cachaça aidant, dont un forro lent avec Mariza, pour qui j’ai soudain éprouvé une affection profonde, dans sa manière de participer à la fête tout en m’indiquant ce que je devrais faire à tel ou tel instant (servir, ne pas servir, rentrer la poubelle, cesser de boire, etc.). L’accident qui l’a défigurée l’a rendue assez amère, parfois, assez dure aussi, mais pleine d’un humour un peu grinçant qui s’accordait bien au mien.
La fête s’est terminée vers minuit, c’est Bigo qui m’a fait signe pour que je ne cède pas à Marcos et Joao qui voulaient une autre bouteille de cachaça.
Le lendemain, lever à six heures pour prendre la route. Mal de crâne, et assis à l’arrière du pick up je sentais monter une méchante nausée. Mais à dix km de Cunani, nous sommes restés embourbés deux heures sous le cagnard. Nous avons essayé de dégager la voiture avec un macaco baiano (un tronc sur lesquels on monte tous et où l’on saute pour augmenter le poids) puis ont employé le cric normal, bien plus efficace.
Du coup la roue arrière s’est déchaussée et a failli quitter l’essieu, pb réparé vingt km plus loin. Après un saut dans le rio Novo, arrivés à Calçoene où Gilmar nous attendait. Pb de fric, de carte bleue, bref j’étais à bout de nerf, surtout à cause de la complicité de D. et V. qui semblaient en permanence me juger.
Même chose le soir chez Rona. Nous aurions pu faire un bon dîner d’adieu, mais le cœur n’y était pas. Rona est venu s’asseoir avec nous. En passant, il m’a embrassé sur le front, il semblait bien content de me voir. Je lui ai demandé quelle était la réputation des Saramaka dans la région ; « Vaudou » répond-il. Tout ce que D. m’avait balancé comme étant élucubrations de ma part se trouvait infirmé. Plutôt que de reconnaître ses torts, elle a préféré dire que j’avais orienté Rona dans ses réponses, et qu’il avait été dans mon sens car il est mon ami.
Bref, je n’ai pas dormi de la nuit, et le lendemain matin j’ai rappelé au filles que l’anthropologie n’était pas du tourisme, qu’on ne pouvait passer son temps à jouer avec les enfants, à sauter au cou des gens avec de grandes exclamations, sans passer pour des gens immatures s’attirant des réponses à l’avenant. Que l’on était là pour accomplir un travail et obtenir des réponses, et que le fait d’être aimé ou non était secondaire par rapport à cela.
Et voilà comment on plombe une mission parce que les choses ne sont pas claires, ni les rapports entre les gens. Nous partons dans une atmosphère amicale. Lorsque le temps presse et que des éléments nous manquent, il faut reprendre la main sur l’équipe et cela n’est pas passé.
Le lendemain, 30, retour à Cayenne en minibus avec V. et Kelly. Je voulais que V. ait le temps de se doucher avant de prendre son avion.
Nous avons fait un petit tour, elle et moi, dans Cayenne. Nous n’avons parlé de rien qui nous touchait directement, sinon de l’état colonial qui régnait en Guyane. V. a rappelé le rôle des anthropologues du temps de l’Empire français. « C’est ce qui fait de l’anthropologie, lui dis-je, une science tourmentée ».
J’avais mille choses sur le cœur, aimables et moins aimables. J’ai fini par ne rien dire car je n’arrivais pas à comprendre ce que j’éprouvais. Elle marchait à mes côtés et sans doute remuait-elle également pas mal de sentiments et de pensées. Un petit sourire ironique flottait sur ses lèvres, et sur les miennes aussi, sans doute, signe de malaise. Nous avons été voir la mer : une Créole nous annonce que la mer est désormais couverte de palétuviers. Et en effet, au milieu des arbres trônait une vieille pancarte qui disait : « Baignade non surveillée ».
Nous sommes entrés dans la cathédrale toute modeste. V. a fait le tour des arcades et des chapelles tandis que je m’asseyais au fond de l’Eglise, priant sans prier.
Puis elle est montée dans un taxi pour l'aéroport et je ne savais que lui dire en guise d’au revoir.
Adieu ?
Je suis resté seul avec Kelly. Je lui ai dit que sans doute j’étais un anthropologue de vingtième catégorie, en plus d’être un type peu aimable. Elle m’a dit « mais tu es fou, tout le travail que tu as fait nous a énormément servi, comment peux-tu te voir comme ça Floriano ? »
« Kelly, pourquoi faut-il immédiatement des protestations d’amitié ? Tu es mon amie, je comprends que tu préfères que je sois un type bien en plus d’être un bon anthropologue. Mais cela ne va pas au-delà. »
Puis l’ami avec lequel elle allait passer la soirée est arrivé et voilà, c’était fini.
nao pude deixar de comentar: il n y avait rien d ironique dans le sourire. mesmo.
Rédigé par : ve | mercredi 15 sep 2010 à 02:54
dans le mien non plus.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 15 sep 2010 à 09:23
Cher Anthropopotame - cette formule a des airs enfantins, comme si on disait cher Père Noël... - d'abord j'ai eu d'excellentes raisons de ne pas - mais on tutoie le P. Noël... - vous commenter immédiatement car votre "rapport de mission" est arrivé à la rentrée, alors que j'étais en plein déménagement et prenais mes quartiers dans un nouveau lycée avec une surcharge surprise de travail - et je ne dispose du net que par intermittence : j'avais archivé vos pages sur mon pc mais ça ne copiait les couleurs donc j'ai remis ça à plus tard. Je viens toutefois de terminer la lecture de votre périple et j'aimerais traduire quelques impressions. Il ne s'agit pas de procéder à une critique en bonne et due forme (pas d'opinion délirante ni scandaleuse comme vous pouvez en être coutumier) dans la mesure où l'objet ne s'y prête pas. J'ajouterai que le découpage chronologique et non pas thématique rend malaisés les commentaires (puisque tout a été publié le même jour) de votre "journal". En vrac donc : faute de connaître avec précision les enjeux de la mission et son historique, j'avoue être un peu paumé dans la dépouillement de ces notes. On croit toujours que le journal d'un anthropologue doit être passionnant et regorgé d'anecdotes uniques : ce que vous racontez est au contraire souvent d'une grande banalité (cela dit sans jugement de valeur). Le résultat, si on s'en tient à la matière brute transmise paraît bien mince ! Néanmoins, votre témoignage est instructif parce qu'il nous fait découvrir que la nature de votre travail de terrain est fort proche de celui d'un archéologue, c'est-à-dire que vous ne savez pas ce que vous cherchez précisément et il n'y a aucune raison qui préside à la découverte d'un trésor. Ainsi, on comprend mieux que l'anthropologie soit fastidieuse et aussi souvent décevante : on veut de l'extraordinaire alors que celui-ci ne se décrète point. En outre, votre population autochtone était tout sauf l'incarnation du rêve exotique : ce n'est pas un peuple de primitifs que vous nous avez montrés ! Je m'en veux donc un peu de ne pas avoir trouvé ça plus intéressant et de n'avoir pu m'y plonger avec délectation comme dans un volume de Terre humaine. Je pense qu'il faudra que j'y revienne car je n'ai pas le sentiment d'en avoir retiré la moelle...
Bon retour parmi nous cher ami et pour de nouvelles aventures à Neverland !
Rédigé par : Bardamu | mardi 21 sep 2010 à 21:03
Mon cher Bardamu, je suis heureux d'avoir de vos nouvelles. J'espère que vos nouveaux quartiers, en dépit de la surcharge de travail, vous conviennent, et que vos élèves penseront philo, mangeront philo et dormiront philo, comme les autres.
Concernant mes notes de Cunani, détrompez-vous, vous en avez bien extrait la moelle. La vérité, comme vous le diront nombre de mes confrères, est que l'on s'emmerde copieusement sur le terrain, avec de longues heures passées à attendre que la chaleur s'apaise ou que la pluie passe. Beaucoup de conversations sans intérêt, mais aussi beaucoup de rapports simples, simplement humains, où l'on goûte la présence des gens ou la beauté du ciel sans penser à les décrire.
Nous grappillons des données mais celles-ci ne forment sens que plus tard, parfois bien plus tard. Il faut laisser mûrir cet ensemble d'impressions et d'informations éparses, parfois contradictoires, puis les choses s'agencent d'elles-mêmes.
Enfin, cela doit être ma dixième mission en Amazonie, je n'ai bien sûr plus la même capacité d'extase qu'à mes débuts, et mon blog, vous le savez, n'est pas destiné à captiver mes lecteurs ou à les fasciner, mais simplement à leur glisser chaque matin ce que peut être le journal d'un homme.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 22 sep 2010 à 08:29