J'ignore s'il est plus adapté de citer Kafka ou Calderon. Mes lecteurs décideront.
Va pour Calderon: "Qu'est-ce que la vie? Une fantaisie. Qu'est-ce que la vie? Une ombre, une fiction. Car la vie est un songe, et les songes sont des songes..."
Je me suis réveillé il y a une heure de cela en songeant à la justesse des métaphores qui comparent la vie à un songe, à un théâtre, à un procès, à un château. Pour une raison, hélas, purement réelle.
Voilà deux mois que j'ai alerté le Doyen et le Président de l'Université sur le caractère pathologique du comportement d'une étudiante, signalant qu'elle pouvait s'avérer dangereuse pour elle-même ou pour les autres.
Le Doyen multiplie les convocations et les entretiens. Je lui ai dit que cela ne servirait à rien. Le Président pondère. Finalement une commission est constituée. Elle se réunira dans les jours qui viennent. L'étudiante annonce son intention de ne pas s'y présenter.
Il y a dix jours de cela, afin de parer à toute éventualité, je porte plainte à la police de Neverland. Le brigadier qui me reçoit m'annonce qu'il n'a pas le bac et ne maîtrise pas les éléments juridiques contenus dans ma plainte, et qu'il y a un service spécialisé pour cela. "Pourquoi dois-je déposer devant vous, alors?" Il m'annonce que sa collègue de la réception s'est trompée. Voici donc un PV de dépôt de plainte dont je ne sais quels éléments sont valides, et truffé de fautes d'orthographe.
Dix jours après, manifestement, ma plainte n'a pas été prise en compte.
Hier soir, rentré tard, je découvre des mails de cette étudiante annonçant son suicide et me désignant comme en étant la cause. J'appelle la police de Neverland. Il est 21h. La police déclare ne disposer d'aucun élément permettant d'identifier cette jeune femme (donc la plainte n'a pas été enregistrée?). Je retrouve finalement dans mes papiers son téléphone et son adresse. Je souligne la caractère urgent de la démarche.
J'écris à l'étudiante pour vérifier qu'elle est vivante. Non seulement elle est vivante, mais elle me bombarde de mails invoquant Allah.
J'en déduis que la police n'a pas pris la peine de se déplacer.
Et nous en revenons à Calderon. Vivons-nous dans un songe, une fiction? Avons-nous des commissariats de façade, des Universités de façade, des Institutions de façade, et qui sait, des Hôpitaux de façade? Le personnel est en place. Mais nous sommes des acteurs. Aucun de nous ne maîtrise qui un défibrillateur, qui un formulaire de dépôt de plainte, qui la matière qu'il devrait enseigner. Les usagers (patients, étudiants, quidam) sont de simples figurants.
L'ensemble est une vaste mise en scène présentant l'aspect d'un pays en état de marche. Mais dès qu'on sort de scène, on va s'asseoir dans un fauteuil, attendant le moment de faire sa réapparition, donner sa réplique, puis regagner la coulisse pour un repos bien mérité.
Les suicidaires, fort heureusement, cachetonnent comme vous et moi.
Je pencherais plutôt vers Kafka... Quel cauchemar cette histoire!
Rédigé par : Dr. CaSo | vendredi 03 déc 2010 à 09:24
Un roman de Philip K. Dick (peut-être « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ») décrit une fausse police, persuadée qu’elle est la vraie.
Mais ta théorie n’a rien n’irréaliste. Après tout la société entretient un nombre invraisemblable de gens dont la compétence n’a quasiment aucune importance : prêtres, médecins, consultants en tout genre...
Je ne dis pas que ces gens sont nécessairement inutiles : il y a l’effet placebo, voir des consultants rassure les actionnaires... (et puis il y a quand même de vraies maladies et de vrais traitements).
Mais si le médecin homéopathiste se trompe de médicament ou si l’imam confond un génitif et un accusatif (leur domaine de compétence officiel) l’effet objectif de leur incompétence est strictement nul puisque l’effet placebo est toujours là (sauf évidemment si le patient ou le fidèle se rend compte de la faute).
Les flics ou les profs ont peut-être une fonction similaire à celle des prêtres et des médecins... Je n’ai jamais affaire aux premiers, mais je dois dire que ce que m’ont enseigné les seconds ne me sert quasiment jamais.
Rédigé par : JX75 | vendredi 03 déc 2010 à 12:34
CaSo, j'ai eu un entretien avec le doyen ce matin qui m'a rassuré. L'Université s'est emparée de l'affaire (je voudrais croire que c'est parce que j'ai mis ma démission dans ma balance, mais je penche plutôt pour l'intervention du Doyen + mon méchant ami auprès du président). Je dois à présent laisser de côté cette histoire et laisser les autres s'en occuper.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 03 déc 2010 à 17:06
Et pire encore...Dans certaines scènes, les usagers deviennent les personnages principaux et parfois même les acteurs sont relégués au simple statut de figurants (tel patient agent de police, telle étudiante sous les feux de la rampe, telle victime enseignant,)...Encore en plus.
"Regagner la coulisse pour un repos bien mérité","laisser les autres s'en occuper" : on sent une sorte de concordance, effectivement.
Qui tient les ficelles ? J'irais bien le remercier pour cette petite lubie d'avoir installé dans une laverie ce soir un figurant nu, une serviette autour de la taille, assis sans doute à attendre que ses vêtements soient propres et secs. A moins qu'il n'ait été un électron libre, mais ça m'étonnerait, tout est si bien huilé.
Rédigé par : beljame | samedi 04 déc 2010 à 01:04
ou la remercier... Si ça se trouve, c'est un truc de fille.
Rédigé par : beljame | samedi 04 déc 2010 à 01:05
Beljame, je crois savoir, en effet, que la Mairie de Paris a recruté des figurants pour pimenter la vie quotidienne des Parisiens stressés. C'est le cas, par exemple, des éclopés qui mendient au marché Richard-Lenoir, payés à la semaine et importés à grand frais de Roumanie.
Quant à la laverie: oh! Beljame! N'avez-vous donc pas de machine à laver? Ne pourriez-vous, au moins, récupérer un carton, y dessiner un hublot et des boutons, et le coller entre deux placards bas?
Rédigé par : anthropopotame | samedi 04 déc 2010 à 07:57
Ils font pareil en province. Notamment devant la petite surface de mon quartier (le même que la laverie) mais j'ai bien vu, moi, qu'il m'avait changé la dame qui y est tous les jours depuis presque 5 ans. La nouvelle a beau s'emmitoufler, on reconnait le subterfuge.
Pour les accessoires ménagers, ne vous inquiétez pas, je suis au top. C'est simplement que, le nez collé aux vitrines des laveries, j'admire les leurs en trompe-l'oeil.
Rédigé par : beljame | samedi 04 déc 2010 à 18:55