Et voilà, bientôt 42 ans, j'envoie grâce aux NTIC des piqûres de rappel à mes amis leur signalant que je n'ai pas besoin de pull, manière habile de suggérer que je suis ouvert à toute sorte de cadeau, sauf des pulls.
La plus belle surprise fut la lettre reçue hier, d'une amie danoise, dont j'étais sans nouvelles depuis douze ans. Or j'ai passé en tout et pour tout une heure avec cette jeune femme, il y a quinze ans de cela, dans un restaurant de l'Alfama à Lisbonne.
Armand, mon colocataire, Alexis son ami de passage, et moi-même occupions une table de quatre dans ce minuscule restaurant dont le patron ressemblait à Chaplin. Tout au fond, vers les cuisines, était assise une jeune fille blonde, un carnet à la main, hiératique. Comme elle attendait une table, nous l'invitâmes à partager la nôtre.
Elle s'appelait Gittan, voyageait pour son compte, au hasard. Elle tenait un carnet de voyage, et au retour publierait ses poésies. Son visage était fin, comme dessiné au couteau. Elle nous demanda ce que nous faisions à Lisbonne: un journaliste, un directeur commercial, un attaché d'ambassade (c'était moi). Elle sourit, nous regarda par dessous et murmura: "Oh... Clerks..."
Je fus frappé de plein fouet par cette remarque qui nous assimilait à de petits Bartleby.
- As-tu lu "La Mort en Arabie"? lui demandai-je. Un livre écrit par un Danois, Thorkild Hansen. Récit d'une expédition scientifique menée au Yémen (Arabie Heureuse), dont les membres s'égarent, les données collectées pourrissent ; ce qui ne pourrit pas finit de prendre la poussière dans le cabinet de Linné qui ne prit jamais la peine d'ouvrir les caisses.
Elle ne le connaissait pas. Je lui expliquai que l'expédition, hâtivement préparée, menée par trois hommes qui ne se supportaient pas, était portée par une question que le roman répète, chapitre après chapitre: pourquoi appelle-t-on Heureuse l'Arabie Heureuse, et pourquoi s'y dirigent les vaisseaux au long cours?
La réponse à cette question, bien entendu, nul ne l'a trouvée, et moins encore aujourd'hui que l'Arabie Heureuse ne s'appelle plus ainsi. Mais je constate que pour Gittan comme pour moi cette heure passée dans un restaurant de Lisbonne a gardé toute l'épaisseur de ses minutes, et notre conversation continue de s'y déployer.
C'est une très belle histoire, parfaite pour commencer la journée alors que la neige tombe au-dehors.
Rédigé par : nikka | jeudi 02 déc 2010 à 10:12
L’expression est due à la négligence d’un moine copiste italien dont le chat Félix avait attrapé la rage...
Affligé et obsédé par le malheur qui frappait son compagnon, il ne pouvait s’empêcher de répéter cette triste vérité : « Félix a la rage, Félix a la rage... » (en italien « Felix ha rabbia »). Au fur et à mesure que la maladie progressait le moine perdit la tête et se mit à écrire cette phrase partout, dans les latrines, sur les murs et jusqu’aux ouvrages qu’il copiait, parmi lesquels se trouvait un atlas. Le grand espace blanc qui représentait la péninsule arabique sur la carte qu’il recopiait ne pouvait que recevoir cette inscription obsessionnelle.
Le moine fut finalement chassé mais cette insctription resta. Plus tard elle fut interprétée comme une erreur de copiste et corrigée en « Felix Arabia ».
Rédigé par : JX75 | jeudi 02 déc 2010 à 14:19
Le roman rapporte en effet une étymologie similaire sauf que je ne suis pas sûr qu'elle portait sur un chat. On parle ce me semble de marmotte ou de lérotin.
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 02 déc 2010 à 14:27
Ça pourrait être en effet un lérotin... Les moines en possédaient souvent et ça leur a donné une réputation de gens pas très sympathiques.
On disait que « le frère Untel a un lérotin », et comme on omettait l’article a l’époque cela donnait donc « frère Untel a lérotin », trop facilement confondu avec « frère Untel a l’air hautain ».
Rédigé par : JX75 | jeudi 02 déc 2010 à 14:35